Des refuges pour sans-abri dans plusieurs grandes villes du Canada expriment leurs inquiétudes malgré l’annonce, le mois dernier, par le gouvernement fédéral, d’un investissement de 362,4 millions de dollars cette année dans le financement des services destinés aux réfugiés. Ils craignent que cette somme ne soit insuffisante ou qu’elle ne leur parvienne pas du tout.

Sam Watts, PDG de la Mission Bon Accueil à Montréal, doute que son refuge bénéficie de ce financement fédéral. « Le Québec adopte souvent une approche légèrement différente de celle du gouvernement fédéral. Il peut donc parfois s’écouler un certain temps avant que nous ne voyions le premier dollar. Dans certains cas, cela a pris jusqu’à trois ans », a-t-il déclaré.

La Mission Bon Accueil à Montréal offre habituellement des services d’urgence aux sans-abri locaux en besoin. Cependant, M. Watts affirme que le refuge a dû dédier un dortoir entier de 30 lits aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, en raison d’une forte demande.

« Nous n’avions pas vraiment le choix », ajoute-t-il.

En 2023, le Québec a enregistré le plus grand nombre de demandeurs d’asile traités par l’Agence des services frontaliers du Canada et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, avec 65 570 demandes.

Sam Watts souligne que de nombreuses personnes arrivant au Canada vivent des traumatismes dans leurs pays d’origine et risquent un traumatisme intergénérationnel, un aspect non soutenu par les refuges.

« Les besoins et les critères de logement pour quelqu’un qui vient d’arriver au pays diffèrent généralement de ceux des personnes qui ont vécu dans la rue pendant un mois ou quelques années », explique Watts.

Bien que le Québec doive recevoir 100 millions de dollars du financement fédéral de 362,4 millions de dollars, le Premier ministre François Legault avait initialement demandé 470 millions de dollars pour couvrir la dette liée à l’accueil des demandeurs d’asile en 2021 et 2022.

La province de l’Ontario exprime également des préoccupations concernant le financement fédéral.

« Le gouvernement fédéral doit assumer la responsabilité de la crise qu’il a créée et fournir les fonds nécessaires pour y faire face », déclare David Piccini, ministre ontarien de l’Immigration, dans un communiqué conjoint avec le leader du gouvernement ontarien, Paul Calandra.

Pendant ce temps, la ville de Toronto a récemment dévoilé son budget pour 2024, prévoyant environ 4 300 lits d’hébergement pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, pour un coût estimé à 250 millions de dollars.

Lors d’une assemblée publique organisée le 25 janvier, la mairesse de Toronto, Olivia Chow, a indiqué qu’environ la moitié des clients du système d’hébergement de Toronto sont des demandeurs d’asile.

Puisque le gouvernement fédéral établit les règles concernant le nombre de réfugiés autorisés dans le pays, elle s’attend à ce qu’il fournisse la majeure partie du soutien financier pour les services d’hébergement.

« Je dois me battre pour Toronto », a déclaré Mme Chow.

Toronto recevra 143 millions de dollars du financement fédéral annoncé en janvier, ainsi que 162 millions de dollars du ministère fédéral des Finances pour les demandeurs d’asile, mais cet argent sera également partagé avec les locataires à faible revenu.

Selon Olivia Chow, le financement devrait couvrir les dépenses pour Toronto, mais seulement jusqu’en mars 2024. Elle avait précédemment suggéré d’augmenter la taxe foncière de plus de neuf pour cent pour couvrir les dépenses si le financement fédéral ne se concrétisait pas.

La plupart des nouveaux arrivants dans le système d’hébergement vivent actuellement dans des hôtels loués par la ville, sans nouveaux services à long terme pour répondre à leurs besoins.

En 2023, l’Ontario s’est classée deuxième dans le traitement des demandeurs d’asile avec 63 390 candidatures. La même année, la Colombie-Britannique a traité 7 695 demandeurs d’asile, tandis que l’Alberta en a compté 6 050. Les autres provinces ont rapporté des chiffres se chiffrant par centaines, voire moins.

Loren Balisky, directrice de l’engagement pour le Vancouver Refugee Transitional Shelter (Kinbrace), affirme que de nombreux clients du refuge éprouvent des difficultés à obtenir leur document de protection de réfugié, ce qui leur permettrait de demander des prestations sociales et de gagner leur vie.

Selon elle, le traitement des documents peut prendre des années. Les prestations sociales pourraient permettre de soutenir le coût de la vie à Kinbrace.

« En ce qui concerne le loyer, nous facturons essentiellement le taux des prestations sociales », dit Mme Balisky.

Elle ajoute que les organisations comme Kinbrace ne reçoivent pas beaucoup de financement fédéral, voire aucun. Le refuge dépend principalement de dons privés, raison pour laquelle il facture un loyer.

Même après avoir obtenu le financement, les demandeurs doivent encore trouver un logement permanent. Ils se retrouvent alors confrontés à une crise du logement, avec des loyers moyens pour un appartement d’une chambre s’élevant à environ 2 500 $ à Vancouver, précise-t-elle.

À Calgary, le président de la Fondation End of the Rainbow, Kelly Ernst, indique que son organisation a créé un programme de sensibilisation pour loger les nouveaux arrivants dormant dans les aéroports dans des hôtels et des logements permanents, car le système de refuge est souvent trop plein pour les accueillir.

« Ce n’était pas du tout financé par le gouvernement fédéral. Un peu de financement provincial est effectivement dirigé vers l’aide aux personnes dans ces scénarios. Mais la majeure partie provient en réalité de financements privés », selon lui.

Son organisation sert des clients LGBTQ+ qui sont soit des réfugiés parrainés privément, soit des demandeurs d’asile. Il souligne que le Canada manque une excellente opportunité en raison de la stigmatisation sociale à l’égard des réfugiés.

« Beaucoup de demandeurs d’asile sont parmi les personnes les plus résilientes pour simplement arriver dans ce pays », dit-il. « On voit réellement que les gens ont un très gros bagage. »

Sam Watts, de la Mission Bon Accueil à Montréal, dit quant à lui que puisque les tendances migratoires changent, le système de refuge provincial doit être repensé.

« Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un phénomène dans le monde où il y a le plus grand mouvement de personnes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. »

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés estime le nombre de personnes déplacées en 2022 à 108,4 millions, prévoyant que ce chiffre continuera de croître. En 2021, ce nombre était de 89,32 millions.

Texte initialement publié en anglais. Traduction de Pierre Michaud.

Hue Pham est une journaliste indépendante, actuellement inscrite au programme de Maîtrise en Journalisme à l'Université Harvard. Elle est diplômée du programme de Baccalauréat en Sciences Politiques...