Les personnes atteintes d’anémie falciforme, migrants au Canada, doivent faire face à un système de santé qui méconnaît encore cette maladie. L’anémie falciforme, ou drépanocytose, est une maladie génétique entraînant la déformation des globules rouges, provoquant l’occlusion des vaisseaux sanguins et des lésions tissulaires. Elle entraîne des crises de douleurs intenses, des problèmes respiratoires, voire la défaillance d’organes ou des accidents vasculaires cérébraux. Imprévisibles, ses différentes manifestations peuvent être handicapantes au quotidien.

Il s’agit de la maladie génétique la plus répandue au monde, avec plus de 50 millions de personnes atteintes. Au Canada, environ 6 000 personnes sont concernées, selon les estimations de la Société canadienne du sang. Un nouveau-né sur 2 500 sera atteint, d’après l’Association d’Anémie Falciforme du Canada (AAFC).

Les principaux concernés sont les personnes afrodescendantes, dont une partie est issue de l’immigration récente.

« L’intégration est doublement difficile », explique Biba Tinga, présidente-directrice générale de l’AAFC, précisant que « les crises peuvent survenir à n’importe quel moment ». « N’importe quoi peut être un élément déclencheur d’une crise », explique-t-elle, citant par exemple l’exposition au froid et à la chaleur extrême, ou encore le stress.

Pour les nouveaux arrivants vivant avec l’anémie falciforme, cette imprévisibilité a des effets d’autant plus délétères. Si certains immigrants atteints s’en sortent bien, Wilson Sanon, président de l’Association d’Anémie Falciforme du Québec (AAFQ), admet que les obstacles à leur intégration socio-économique sont nombreux. Trouver et conserver un emploi peut s’avérer être un réel parcours du combattant, tout comme maintenir une situation financière permettant de trouver du logement. « C’est un cercle vicieux », souligne-t-il.

Wilson Sanon évoque aussi la complexité, pour ceux n’ayant pas de famille ou d’amis au Canada, de vivre avec la maladie en étant loin de ses proches, notamment sur le plan psychologique.

Prenant la santé mentale au sérieux, l’AAFQ a donc mis sur pied un programme visant à faciliter l’accès à la psychothérapie aux drépanocytaires et à leurs proches.

Quand l’information est clé

Dans certains cas, les Néo-Canadiens apprennent être atteints d’anémie falciforme en arrivant au Canada, faute de n’avoir pas été dépistés auparavant. Sur les dix provinces du pays, seuls le Manitoba et la Saskatchewan n’offrent pas le dépistage néonatal. Une pratique qui permet de « contrôler la maladie très tôt et d’éviter des crises graves à ces enfants-là », se réjouit Biba Tinga.

Les nouveaux arrivants déjà diagnostiqués, eux, ont souvent du mal à « savoir vers qui se tourner » pour obtenir des soins, déplore la présidente-directrice générale. « Je reçois souvent des appels, des courriels, avant que les gens arrivent au Canada », raconte-t-elle au Média des nouveaux canadiens, car les Néo-Canadiens en devenir « veulent savoir où s’installer pour être proche des hôpitaux qui prennent en charge la maladie adéquatement ».

La maladie détermine donc bien souvent les choix de la ville ou du quartier d’installation, sous peine de « se retrouver face à des médecins ou des infirmiers qui ne savent pas comment traiter cette maladie-là », soutient Biba Tinga. À Montréal, les hôpitaux spécialisés se situent au centre-ville, dit-elle. Seul hic, « les communautés noires et immigrantes n’habitent pas le centre-ville ».

Différence de statut

L’accès aux soins et leur qualité sont cependant bien supérieurs au Canada que dans la plupart des pays de provenance des immigrants drépanocytaires, concède Wilson Sanon. Les individus et les familles arrivées au pays avec la résidence permanente ne rencontrent donc, selon lui, aucun problème pour être pris en charge par le système de santé, « mis à part le temps d’attente pour la carte d’assurance maladie ».

La situation est nettement plus compliquée pour celles et ceux qui ont d’autres statuts migratoires, notamment pour les étudiants. Ces derniers souscrivent généralement à une assurance privée ne couvrant pas l’anémie falciforme, d’après Wilson Sanon, à qui il arrive souvent de répondre aux craintes et aux interrogations d’étudiants internationaux drépanocytaires. Faute de pouvoir les dispenser des frais exorbitants à payer après un passage à l’hôpital, il suggère aux étudiants de mentionner leur statut migratoire dès l’arrivée aux urgences. Les soignants peuvent ainsi orienter leurs traitements vers des options moins coûteuses.

« Quand on vit avec l’anémie falciforme, on ne peut pas simplement faire ses valises et partir », commente quant à elle Biba Tinga.

Discriminations

Les discriminations, elles, sont aveugles au statut migratoire. Citoyens comme néo-canadiens drépanocytaires font face à des remarques désobligeantes, des propos ou des actes discriminatoires sur la base de la race ou, pour les nouveaux arrivants, de la non-maîtrise de la langue, rapporte Wilson Sanon.

Il arrive que « lorsque les patients sont en crise de douleur, ils arrivent à l’urgence et on leur dit tout simplement : ‘Viens-tu chercher ta dose ?’ », relate-t-il, précisant toutefois que « dans les services spécialisés, les gens les connaissent et connaissent la maladie ». Une mauvaise prise en charge qu’il explique du fait « qu’elle touche une communauté bien particulière, économiquement défavorisée et souvent immigrante ». Les « œillères » sur l’anémie falciforme ont aussi pour effet de limiter le financement et la recherche sur la maladie et ses possibles traitements. D’autres maladies génétiques du sang, comme la fibrose kystique ou l’hémophilie, seraient « plus connues et plus supportées », même si un nombre moins important de la population en est concerné, croit Wilson Sanon.

« Même les gens de la communauté ignorent [l’existence de la maladie] ou ont tendance à la banaliser », se désole-t-il, appelant du même souffle les personnes afrodescendantes à aller se faire dépister.

Surtout, il les invite à donner du sang. « C’est plus facile de donner du sang compatible puisqu’on partage le même bagage génétique [et] les transfusions sanguines sauvent des vies ».

 

Adèle Surprenant est journaliste indépendante. Elle a travaillé en Amérique du Nord, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Europe, et s’intéresse aux questions liées à la migration, au genre,...