Carline Joseph, la mère d’Isayah qui avait déjà cinq filles, s’attendait à un garçon à la suite à sa première échographie à quatre mois de grossesse. Mais, au bout de sept mois, le médecin lui dit : « Finalement, on s’est trompé, ce sera une fille ». L’important, se disait-elle, c’est que mon bébé soit en bonne santé.

Elle commença à ranger les jouets et vêtements de garçon qu’elle avait commencé à accumuler pour les remplacer par des poupées, des petites robes roses et des accessoires de coiffure pour fille. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que dans la tête de sa fille germait l’idée d’un petit garçon, celui dont elle avait toujours rêvé, après 19 ans d’attente.

RozAgnès Guillaume. Photo fournie par la famille.

« Peu importe, dans la vie de tous les jours, j’ai toujours pensé à ce qu’un homme fait. Je n’ai jamais réfléchi, ne serait-ce qu’une fois, à la manière dont une femme devrait rire, marcher, etc. », se souvient Isayah Guillaume, qui s’appelait RozAgnès avant sa transition.

Sa mère se rappelle que la petite fille qu’il était jetait les poupées par-dessus bord et courait après des camions, des fusils, des pistolets et tous les jouets pour garçon. RozAgnès aimait tout ce qui était sport de contact, participait avec brio aux cadets de la Marine royale canadienne et vivait sa masculinité dans le plus grand secret de sa famille. Mis à part quelques amies proches, personne ne savait qu’elle était bisexuelle jusqu’à une réunion de parents à son école secondaire.

Les doutes

« Ce soir-là, ça a été une soirée très silencieuse à la maison », se rappelle Isayah, bientôt 24 ans. « Je sais que dans la communauté haïtienne, cela passe mal lorsqu’un enfant te dit cela. Cela avait créé un froid entre moi et ma famille et, par la suite, c’est devenu un secret que j’ai gardé pour moi-même », explique l’homme en entrevue avec le Nouveau média des Canadiens (NCM).

« J’avais peur de l’image, du regard extérieur de la famille, je ne voulais pas créer plus de honte pour mes parents, que la société les voit de façon bizarre », dit celui qui trouve « cela très beau », les valeurs familiales dans la communauté haïtienne.

Vers la fin du secondaire et au CEGEP, ses parents ont commencé à devenir plus ouverts. Plus de gens dans la famille immédiate commençaient à en discuter et Isayah songeait sérieusement à changer de sexe.

RozAgnès et Isayah. Photo fournie par la famille.

« J’avais des doutes sur ce que je voulais faire, ou si c’était possible. C’était une grosse bataille dans ma tête, car je ne savais pas que c’était possible. Plus jeune, je pensais que j’étais coincé à rester une femme pour le reste de mes jours », dit-il.

De la tentative de suicide vers 15 ans à une grosse dépression à 18 ans, RozAgnès se décida enfin à réaliser cette transformation de genre vers Isayah. En février 2019, à l’âge de 19 ans, elle rencontra une psychologue qui l’aida à organiser ses pensées et, quelques mois plus tard, débuta le processus de transformation en homme, portant aujourd’hui la barbe. Sous la rubrique de réassignation de genre, une mastectomie, soit l’ablation du sein, a été réalisée. Afin d’assurer une pousse adéquate de poils au visage, il suit et suivra pour le reste de ses jours une hormonothérapie. Tous les dix jours, il doit s’injecter de la testostérone pour pouvoir garder sa barbe touffue.

« À chaque fois que je dis à une personne que je suis trans, elle me répond : ‘Tu me mens, arrête de me mentir.’ Physiquement, je ne ressemble pas à une femme, même avant ma transition », note Isayah Guillaume.

Une communauté haïtienne mitigée

Après s’être battue contre l’orientation sexuelle de son enfant et avoir pleuré, la mère d’Isayah est devenue sa principale avocate et défenseure sur la place publique. Après l’opération, Carline Joseph a non seulement publié les images de son fils sur les réseaux sociaux, mais elle est également allée sur toutes les tribunes pour raconter son histoire.

La famille a été agréablement surprise par la réaction de la majorité des gens en public. Mais en privé, dans la messagerie de Carline Joseph, les insultes ont fusé. Il en a été de même pour la messagerie d’Isayah.

« Des gens m’écrivaient pour me dire : ‘Tu n’as pas retrouvé Dieu.’ Ou encore, des hommes me disaient : ‘Tu n’as juste pas eu le bon garçon avec toi, viens me voir, je vais prendre soin de toi’ », se rappelle le transgenre, qui dit avoir tout fait pour « bloquer ce côté-là dans sa tête ». « Ma mère m’avait averti que la communauté haïtienne, parfois, peut être crue, méchante, surtout pour des affaires qui sont taboues », dit Isayah Guillaume.

Un soutien familial sans faille

La mère de Carline Joseph, une dame de 80 ans, a commencé à la convaincre d’accepter son enfant. Elle lui a dit : « Laisse-le donc vivre ses émotions. » Vient ensuite son mari et père d’Isayah, Godfroy Guillaume, qui « observait » de loin depuis longtemps sa fille devenue un homme.

« Mon mari m’a dit : ‘Tu as toujours voulu avoir un garçon, tu ne peux plus enfanter et le bon Dieu veut te le donner, et tu refuses de l’accepter. Si elle veut devenir un homme, laisse-la’ », confie la mère, que NCM a rencontrée à la maison familiale située à Repentigny, en banlieue de Montréal.

« Moi, j’ai accepté avant sa mère, mais je ne lui ai pas dit », indique M. Guillaume, connu dans la famille pour son calme et son silence.

Le côté masculin de RozAgnès a toujours intrigué sa mère. Dans la communauté haïtienne, ou souvent au magasin, les incidents diplomatiques étaient légion. « Mes amies me faisaient des commentaires tout le temps sur sa posture, et les vendeuses aux magasins me disaient que cela serait bien pour votre fils. Je répondais : ‘Ma fille !!!!’… »

RozAgès en tenue de bal. Photos fournies par la famille.

Mais cette fille a pris fin le jour de son bal de finissants. Carline Joseph a dû négocier fermement avec RozAgnès pour qu’elle accepte de porter une robe ce jour-là, ce qu’elle a finalement accepté.

« Il m’a dit : ‘Maman, regarde-moi bien aujourd’hui, prends beaucoup de photos, car c’est la dernière fois que tu vas me voir comme ça.’ » Le lendemain, tout un processus de transformation a commencé pour elle et toute la famille.

« C’est sûr qu’au départ j’ai accouché d’une petite fille, mais une de ses sœurs m’a dit un jour : ‘J’aime mieux avoir un frère vivant qu’une sœur morte’ », révèle Mme Joseph pour expliquer l’implication et l’accompagnement de toute la famille dans le processus.

Isayah Guillaume avec ses parents. Photo: Jean-Numa Goudou.

Jean Numa Goudou, Canadien d'origine haïtienne, possède plus de 25 ans d'expérience en journalisme. Ayant commencé sa carrière à Radio-Métropole à Port-au-Prince, il a ensuite immigré au Canada,...