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Confrontés à de la violence et des conditions de travail frisant « l’esclavage moderne », selon les termes du rapporteur spécial des Nations unies, Tomoya Obokata, qui a visité le Canada en septembre dernier, de nombreux travailleurs étrangers temporaires (TET) ont désormais recours à des demandes d’asile. Nombre d’entre eux abandonnent les exploitations agricoles pour se présenter à un organisme montréalais, espérant obtenir de l’aide en la matière.

Malgré l’interdiction stipulée par la Loi sur l’immigration, quelques-uns tentent leur chance, confirme Cecilia Escamilla, directrice générale du Centre d’aide à la famille latino-américaine (CAFLA), lors d’une entrevue avec MNC. Toutefois, elle refuse de divulguer le pourcentage de TET faisant une demande d’asile, soulignant la confidentialité de ces informations. « Je ne peux pas vous dire combien, parce que cela est très, très confidentiel, mais il y en a. Il y en a… » répète-t-elle. « Oui, on a des cas où certains quittent la ferme, viennent chez nous pour nous dire qu’ils ne veulent pas retourner chez eux et décident de faire une demande d’asile », déclare Mme Escamilla.

 

Cecilia Escamilla, directrice générale du Centre d’aide à la famille latino-américaine (CAFLA). Photo : Jean-Numa Goudou

La majorité des travailleurs étrangers temporaires (TET) au Québec proviennent de trois pays d’Amérique latine : le Mexique, le Salvador et le Guatemala. Environ 38 500 de ces travailleurs sont employés dans divers secteurs au Québec, surtout dans l’agriculture, mais désormais aussi dans l’industrie manufacturière, l’hôtellerie, l’hébergement, le commerce de détail et la transformation alimentaire.

Ceux qui travaillent dans le secteur de l’agriculture font face à des conditions de vie précaires. Ils sont souvent logés dans des habitats insalubres ou surpeuplés, et reçoivent des salaires très faibles. De plus, ils sont souvent contraints de faire des heures supplémentaires non rémunérées et vivent une forme de dépendance envers leur employeur, car ils sont liés à ce dernier par des permis de travail fermés, ce qui restreint leur liberté d’emploi.

Au cours des huit premiers mois de 2023, le CAFLA à lui seul est venu en aide à 600 Mexicains. « On a beaucoup, beaucoup et beaucoup de Mexicains aujourd’hui, confirme Mme Escamilla, la demande est tellement élevée qu’on a maintenant une grave problématique de logement en plus des démarches administratives, notamment un avocat qui accepte l’aide juridique, difficilement trouvable. »

Vu le caractère complexe de leur demande d’asile, la responsable du CAFLA souligne qu’il leur faut un bon avocat pour justifier leur requête de protection de la part du Canada.

Problèmes de santé graves

En plus d’être sans ressources financières, ces travailleurs souffrent souvent de graves problèmes de santé physique mais aussi mentale. Plusieurs sombrent dans l’alcoolisme, ce qui provoque souvent des bagarres entre eux. Beaucoup développent de l’hypertension et du diabète en raison d’une mauvaise alimentation.

« Ce sont des paysans qui sont habitués à ce que leurs femmes cuisinent pour eux. Ici, ce qu’ils trouvent, ils ne savent pas le préparer. La nourriture qu’ils connaissent, ils ne la trouvent pas. Et donc, ils mangent mal », rapporte la directrice du CAFLA. L’organisme organise des formations à l’intention de ces TET sur les denrées disponibles au Québec et comment les préparer.

Des séminaires sur leurs droits et devoirs sont aussi mis sur pied à l’occasion des visites réalisées sur les fermes ou les lieux de travail. Pour venir en aide à ceux qui sont malades, le CAFLA dispose d’une ligne 24h, mais aussi d’une ligne WhatsApp afin de rendre disponible des consultations avec un médecin du Québec qui parle espagnol.

« Ils ont une couverture médicale, mais si pour vous c’est difficile de trouver un médecin au Québec, imaginez pour eux. C’est pour cela qu’on leur offre ce soutien-là », indique Mme Escamilla.

Une centaine d’entreprises sanctionnées pour maltraitance

En 2023 au Québec, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST) a infligé 97 constats d’infraction au code du travail à 11 entreprises différentes, comme l’a annoncé Manuelle Oudar, sa présidente-directrice générale. Elle a dévoilé ces données lors d’une conférence de presse tenue en décembre dernier à Québec, aux côtés de Jean Boulet, ministre du Travail.

D’après M. Boulet, une seule entreprise accusée de sous-payer ces travailleurs mexicains a écopé de 41 des 97 amendes. En 2022, la CNESST n’avait donné que 14 constats d’infraction, au total.

Depuis septembre dernier, le gouvernement a initié une évaluation du permis de travail fermé. Ce type de permis, qui lie un travailleur étranger temporaire à un seul employeur, peut engendrer des abus et de la servitude. La Commission des partenaires du marché du travail (CPMT) est chargée d’évaluer l’impact de ce permis sur le marché du travail québécois et sur les travailleurs eux-mêmes.

Par ailleurs, depuis 2019, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) peut octroyer un permis de travail ouvert aux travailleurs vulnérables, notamment ceux qui sont maltraités, victimes de violence ou à risque d’en subir.

En termes de santé et sécurité au travail, le nombre de lésions professionnelles reconnues a considérablement augmenté, passant de 1193 en 2018 à 2176 en 2020, et atteignant 3541 en 2022. M. Boulet précise que désormais, les travailleurs étrangers temporaires (TET) ont accès à une indemnisation et à tous les services de réadaptation offerts par la CNESST.

À la suite de sa visite au Canada, le rapporteur spécial de l’ONU avait recommandé aux autorités du pays de régulariser le statut des travailleurs migrants étrangers et de mettre fin au système fermé des permis de travail. « Le Canada doit permettre à tous les migrants un meilleur accès à la résidence permanente, afin d’éviter que les abus ne se reproduisent. »

Jean Numa Goudou, Canadien d'origine haïtienne, possède plus de 25 ans d'expérience en journalisme. Ayant commencé sa carrière à Radio-Métropole à Port-au-Prince, il a ensuite immigré au Canada,...