Si, pour plusieurs, le « rêve canadien » se fonde sur la promesse de trouver un emploi dans un pays relativement paisible, les experts en immigration s’inquiètent des lacunes en ce qui a trait aux changements dans les dynamiques familiales et de leurs conséquences pour les nouveaux arrivants.

« On ne parle pas des rôles parentaux et des difficultés que les personnes immigrantes pourraient connaître avec leurs partenaires et leurs enfants », explique Myriam Coppry, fondatrice et directrice générale de NUNANUQ Services Interculturels, une clinique qui aide les parents à traverser les crises familiales à Montréal.

« La réalité, c’est que la structure familiale est appelée à changer : le père aura souvent plus de tâches ménagères et les tâches parfois effectuées par des travailleurs domestiques dans d’autres pays coûtent cher au Canada, dit Mme Coppry. Ces éléments et bien d’autres encore peuvent déstabiliser la famille. »

Selon une étude réalisée à l’Université d’État de Californie à Fresno, un grand nombre de immigrants viennent de pays où existe un machisme – une idéologie de domination et de contrôle des hommes sur les femmes – qui possède de profonds ancrages et où les rôles sont clairement définis : l’homme est le principal pourvoyeur et sa contribution aux tâches ménagères est minime. L’étude indique que ces traits existent dans différentes cultures, notamment celles qui prévalent aux États-Unis et en Amérique latine, de même qu’en Afrique et en Asie.

2) Les experts en immigration s’inquiètent du manque de préparation aux changements familiaux pour les nouveaux arrivants. Photo par RDNE Stock Project de Pexels.com

De même, dans une étude sur l’immigration publiée par le Collège NorQuest, Amrita Hari fait état de blocages systémiques qui perpétuent les rôles traditionnels de l’homme et de la femme au sein des couples indiens vivant en Ontario. Elle explique, notamment, que les choses se compliquent lorsque l’homme se trouve en avantage au plan salarial.

 « Tous les couples ou presque s’entendent pour dire que la progression de carrière des femmes pourrait être compromise lorsque l’homme gagne un meilleur salaire et qu’elles doivent s’occuper des enfants, écrit l’autrice. Si la plupart des couples sont favorables à une relation égalitaire dans la carrière et la vie de famille, les obstacles systémiques du marché du travail renforcent les rôles typiques de l’hommes et de la femme dans la famille. »

Cette situation se manifeste d’autant plus lorsque le mari ne trouve pas de travail équivalent à celui qu’il avait dans son pays d’origine. Cela l’expose à ressentir une dévalorisation auprès de sa famille. Quand la femme et les enfants arrivent en premier au pays et que le mari continue à travailler et à leur envoyer de l’argent, certains problèmes peuvent aussi survenir. S’il constate des changements dans la dynamique familiale et une plus grande indépendance de la femme, il risque de percevoir son rôle se restreindre à son arrivée.

Avec NUNANUQ Services Interculturels, Mme Coppry se trouve à l’origine d’un réseau de coaching parental qui travaille avec des familles migrantes en crise dans différents pays et en particulier au Canada. « Plusieurs femmes n’ont pas l’habitude de gérer l’allocation ou la subvention familiale parce que les hommes contrôlent traditionnellement l’argent, dit-elle. Cela fait partie de leur rôle traditionnel de pourvoyeur ».

Bien sûr, il n’existe pas de formules magiques en matière d’adaptation et d’intégration. Il peut être difficile de prévoir dans 100% des cas comment les personnes immigrantes vont résoudre leurs problèmes personnels et familiaux.

Pour certains, le mariage peut être un moyen de maintenir leurs cultures alors que pour d’autres, il implique l’apprentissage de nouvelles tâches et l’ouverture à d’autres normes sociales.

Les vertus du changement radical

Manuel Estrada et Amada Aldama se sont installés à Drummondville il y a 15 ans. Ils étaient à la recherche d’une meilleure vie pour leurs deux enfants, alors âgés de 18 mois et de 3 ans. Au Mexique, M. Estrada était cadre dans une entreprise pétrolière et Mme Aldama travaillait dans le domaine du marketing.

Mme Aldama raconte qu’au Mexique, ils pouvaient se permettre d’engager une travailleuse domestique qui les aidait deux fois par semaine avec les tâches ménagères. Durant le jour ou lorsqu’ils étaient retenus au travail en soirée, ils pouvaient aussi compter sur un membre de la famille pour garder leurs enfants.

 « Lorsque nous rentrions, nous avions à peine temps de faire un peu de ménage, de souper et d’aller au lit, dit M. Aldama à propos des exigences de leurs vies professionnelles dans leur pays d’origine. Manuel donnait le bain aux enfants et les mettait au lit, alors que je m’occupais des tâches ménagères. »

Un mode de vie qui allait changer à leur arrivée à Drummondville, comme l’indique Mme Aldama. Elle raconte que ses enfants ont dû travailler dès l’âge de 16 ou 17 ans, alors que cela aurait été impensable au Mexique.

S’ils n’étaient pas en mesure de recourir à des services d’aide domestique, elle raconte que la situation de leur famille s’est améliorée au fil du temps.

Ils quittent aujourd’hui le travail plus tôt et leurs trajets sont réduits au minimum. Mme. Aldama cuisine presque tous les jours et en particulier pour le souper. La famille s’épaule pour le ménage. Également, M. Estrada a appris à cuisiner, de même qu’à jardiner ainsi qu’à faire les travaux de plomberie et les réparations électriques à la maison.

Estrada s’occupe également du lavage des vêtements. D’ailleurs, ils ont établi des règles pour les adolescents : le linge sale va directement dans un panier.

« Nous faisons tout le reste ensemble, dit Mme Aldama. Si c’était difficile au début, notre état d’esprit a maintenant changé. » 

Elle raconte que ses enfants sont heureux d’aider à vider le lave-vaisselle, sortir les poubelles et nettoyer les salles de bains. « Aujourd’hui, nous parlons plutôt avec les enfants de contribuer que d’aider à la vie familiale, dit-elle. Je ne dis pas que tout est parfait, mais c’est ce que nous cherchions. »

« On ne m’oblige à rien »

Ozgur Guney est un Québécois de 26 ans qui étudie la comptabilité à Montréal.

Ses parents sont arrivés de Turquie il y a 30 ans. Ils travaillent à temps plein, son père en logistique et sa mère en finance.

Il indique que ses parents sont musulmans pratiquants et forment un couple où prévaut le respect. Par ailleurs, ils n’ont jamais voulu lui imposer leur religion.

« Ils me souhaitent d’éviter les mauvaises fréquentations, mais on ne m’oblige à rien », dit-il, précisant que ses parents tiennent depuis toujours à la tolérance.

Oz, comme on le surnomme, sait que peu après sa naissance, son père l’a baptisé selon un rituel islamique, en lui murmurant son nom trois fois à l’oreille et en récitant une prière pour une vie heureuse. Son nom n’a pas été choisi au hasard : Ozgur signifie « libre » ou « indépendant » en turc.

« Mes parents n’ont pas peur que je m’éloigne d’eux et que je prenne mes propres décisions », affirme Oz.

Il souligne que si ses parents parlent le turc et cuisinent des plats de leur pays d’origine à la maison, il s’agit de personnes qui prônent l’ouverture culturelle.

« Mon père ne mange pas de hamburgers, mais il adore les frites », dit-il.

D’ailleurs, il note qu’il s’exprime aisément en français et en anglais à l’école. « Il est facile pour moi de naviguer dans différents espaces, mentionne Oz. Il y a quelque chose à apprendre de toutes les cultures. »

L’immigration concerne bien davantage que la dimension économique à laquelle la réduit souvent un certain discours gouvernemental.

À ce sujet, Mme Coppry fait une analogie avec une transplantation. « Elle implique un risque et celui-ci est vital à la croissance de la plante, dit-elle. Le défi consiste à s’assurer qu’elle continue à pousser et qu’elle tienne bon lors du changement d’environnement. »

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Traduit de l’anglais original « The Dynamics of Immigration (Part 1): Machismo goes out the window » par Alexis Lapointe

Abraham Rozenberg Kasman a travaillé comme rédacteur dans plusieurs magazines commerciaux au Mexique, avant de déménager à Montréal en 2020.