Manifestation étudiante contre la réforme du PEQ, 10 juin 2020
Manifestation étudiante contre la réforme du PEQ, le 10 juin 2020, devant l’Assemblée nationale du Québec. Source: Source : page Facebook du collectif Étiq

Au Québec, les étudiantes et étudiants internationaux doivent composer avec des restrictions particulières qui compliquent à la fois leur parcours académique et leur intégration. Un fait d’autant plus criant depuis la réforme du PEQ (Programme de l’expérience québécoise) en 2020 par le ministre Simon Jolin-Barrette. Si les modifications apportées il y a quelques semaines à cette réforme allègent les conditions d’accès à la résidence permanente pour certaines personnes, les changements aux règles du jeu impliquent de nouvelles divisions.

« Les personnes qui décident d’étudier à l’étranger font des sacrifices et méritent d’être valorisées, dit Fernanda Sigüenza, doctorante en sociologie à l’UQÀM. Avec des règles qui changent constamment, on dirait que c’est parfois le contraire et cela crée beaucoup d’indignation. »

En entrevue avec New Canadian Media, Fernanda fait état de la détermination dont elle a dû faire preuve pour étudier au Québec. Un véritable chemin de croix. Alors qu’elle cumule depuis plus de six ans une multitude de réussites académiques et professionnelles, elle doit encore attendre la fin de ses études de doctorat pour être admissible à la résidence permanente au Canada. Au cœur de ce parcours, le choix initial de faire un apprentissage rigoureux du français.      

« Je venais rejoindre ma conjointe et je me suis mise à des cours de français dès mon arrivée, raconte-t-elle. Comme j’ai dû faire face à des obstacles au plan administratif, c’est un peu grâce à la bienveillance d’une enseignante que j’ai été en mesure de mener à terme ces études. »

Après l’obtention d’une maîtrise en sociologie, elle a été admise au doctorat et elle occupe maintenant le poste de chargée de projet au Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL) à Montréal. Aussi assistante d’enseignement à l’UQÀM et à la section canadienne de l’UNAM (Université nationale autonome du Mexique), elle s’affirme désormais comme une experte dans plusieurs domaines et notamment en ce qui a trait à l’analyse comparative de la sociologie des Premières Nations au Mexique et au Canada. New Canadian Media s’est entretenu avec des étudiants et des étudiantes universitaires qui témoignent de leur expérience à Montréal.

Des boucs-émissaires 

« C’est un parcours impliquant des coûts importants, relève Fernanda. Nous avons dû payer une assurance maladie privée annuelle de plus de 1000 $, puis embaucher une avocate pour nos démarches d’immigration. » 

Également, les frais de scolarité sont bien plus élevés pour les étudiants de l’étranger. « Nous payons plus que quiconque et nous devons nous intégrer à notre société d’accueil, soulève la doctorante à l’UQÀM. Il est d’autant plus exigeant de composer avec autant d’incertitudes légale et administrative. » 

Ces frais, qui varient d’une institution à l’autre et selon le pays d’origine des étudiants, peuvent s’élever dans certains cas jusqu’à 25 000 $ par an. Depuis septembre 2023, une politique gouvernementale visant à favoriser l’immigration en région permet cependant de réduire cette facture à 3000 $ pour celles et ceux qui entreprennent des études dans certains programmes, techniques et scientifiques dans la plupart des cas – à l’extérieur de Montréal. 

Autant de considérations qui rejoignent bien la vision de Yedil Zerhboub. Détenteur d’un MBA en plus d’un baccalauréat à l’Université de Montréal, il travaille aujourd’hui comme consultant auprès de différentes entreprises au Québec.

Au fil de ses études, voir les obstacles auxquels plusieurs collègues se heurtaient l’a conduit à s’engager pour la défense des droits des étudiants internationaux. « On devait élever la voix à la suite de la disparition de 18 000 dossiers d’immigration, annoncée par Simon Jolin-Barrette, rappelle-t-il. Cette situation a eu d’énormes conséquences. » 

Alors que le ministère de l’immigration annonce le retrait de l’obligation d’expérience de travail à long terme pour obtenir un Certificat de sélection du Québec, les délais de traitement demeurent un enjeu majeur pour les personnes aspirant à la résidence permanente. 

« On a l’impression qu’on relègue les étudiants et les étudiantes provenant de l’étranger à un second rôle, comme on le fait avec la régionalisation de l’immigration, note Yedil. Alors que notre communauté étudiante devrait être valorisée, nous vivons davantage de mépris. »

Des règles complexes et changeantes

Détenteur de Baccalauréat en histoire de l’art à l’UQÀM, Alexandre Marques a récemment obtenu le statut de résident permanent et voit la situation d’un même œil. « On doit composer avec une série de règles complexes, dit celui qui travaille comme muséographe à Montréal. Cela implique notamment faire ses démarches auprès de deux paliers de gouvernements. » 

D’ailleurs, une étude de l’Institut du Québec relevait il y a quelques semaines des irrégularités dans le taux de refus des candidatures d’étudiantes et d’étudiants originaires de pays africains. « Il y a des personnes davantage privilégiées que d’autres, relève l’historien de l’art. Également, les frais de scolarité varient en fonction des pays d’origine des étudiantes et des étudiants. » 

Par ailleurs, il s’indigne de voir autant de modifications aux règles d’immigration. 

« Le gouvernement se comporte un peu en colonisateur avec les personnes immigrantes, croit-il. Quand il dit une chose et son contraire, les étudiants de l’étranger tiennent en quelque sorte un rôle de boucs émissaires. »

Alors qu’un programme pilote permet aux étudiants internationaux de travailler autant d’heures qu’ils le souhaitent, Alexandre note que la situation économique peut être très difficile pour plusieurs. « On se réjouit de la suspension de la limite de 20 heures de travail par semaine, soulève-t-il. Cela dit, je pense qu’on doit se demander ce qui explique qu’on ait besoin de travailler autant alors que nous sommes en train d’étudier. »

Ségrégation linguistique 

Avec la réforme apportée aux politiques gouvernementales d’immigration en 2020 par la CAQ, on assistait à un important resserrement des critères linguistiques dans l’accès à la résidence permanente au Québec. 

On exigeait désormais de démontrer l’obtention du niveau 7, dans l’Échelle québécoise des niveaux de compétence en français des personnes immigrantes adultes. Un niveau exigeant normalement plusieurs années d’étude et de pratique de français. « Il s’agit de règles qui ont été votées en pleine pandémie, note Fernanda. Il y avait alors une certaine accalmie des mouvements sociaux. » 

Avec les modifications apportées en juin 2023 par la CAQ, il devient obligatoire d’avoir fait plus de trois ans d’études dans un établissement francophone pour accéder au PEQ (Programme de l’expérience québécoise). Une ségrégation s’installe ainsi avec les étudiants et les étudiantes qui étudient dans des établissements anglophones, puisqu’il s’agit d’une condition d’accès au PEQ.

Une utilisation politique de la langue française qui fait écho à d’autres orientations du gouvernement de la CAQ. Elle évoque notamment la loi 96, qui comporte différentes mesures de contrainte sur le plan linguistique. Dans les deux cas, il s’agit de modifications législatives qui provoquent d’importants questionnements quant aux relations entre l’immigration et la langue française au Québec.

 

Alexis Lapointe est rédacteur professionnel et journaliste indépendant. Après l’obtention en 2021 d’un Baccalauréat ès arts de l’Université de Montréal, il travaille actuellement à une série...