Le Guide pratique pour l’intervention auprès des femmes avec un parcours migratoire a été développé afin de mieux outiller les intervenants et intervenantes dans leur travail auprès de ce type de population, vulnérable aux violences basées sur le genre.
Lucy est arrivée au Québec la tête pleine de promesses.
Professeur d’anglais langue seconde, elle quitte sa carrière et son pays pour suivre son conjoint de l’époque, un citoyen canadien qui lui fait miroiter un mariage, et lui assure qu’il adoptera ses quatre enfants. Alors que la pandémie de Covid-19 va changer la face du monde, Lucy, dont le prénom a été modifié pour des raisons de sécurité, ne se doute pas encore que son monde à elle aussi s’apprête à basculer.
Une population vulnérable
Les mesures sanitaires mettent un frein à toutes démarches migratoires. Son ex-conjoint lui propose alors d’entamer une procédure de parrainage, une procédure qui devient « un fil conducteur de harcèlement envers moi », explique Lucy au Média des nouveaux Canadiens.
« C’est devenu une situation de violence d’abord psychologique, après financière, et finalement sexuelle et physique », raconte-t-elle, depuis la maison d’hébergement pour femmes victimes de violences conjugales ou elle s’est réfugiée, deux semaines avant de témoigner. « Il m’a empêché de sortir de la maison, il m’a empêché de travailler, il m’a empêché de faire beaucoup de projets que j’avais pour pouvoir légaliser ma situation ». Une régularisation qui se fait encore attendre.
« La situation de Lucy, c’est la situation de beaucoup de femmes », affirme Chantal Cloutier, intervenante sociale à la Maison d’Ariane, centre d’hébergement pour femmes et enfants victimes de violences conjugales.
Près de la moitié de la population immigrante au Québec sont des femmes, d’après les données du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), datant de 2022. Si elles ne sont pas toutes victimes de violences conjugales, les femmes ayant un parcours migratoire « […] sont à risque d’être exposées à un ensemble de violences genrées tout au cours de leur trajectoire pré-péri et post migratoire », peut-on lire sur le site internet de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI). « Ces violences sont d’un tel potentiel traumatique et de risque de revictimisation, qu’il peut affecter gravement certaines femmes dans leur processus d’insertion au Québec ».
« On a beaucoup à apprendre d’elles »
C’est pour permettre aux intervenants et intervenantes d’adapter leurs pratiques à ces problématiques et aux populations concernées qu’a été élaboré le Guide pratique pour l’intervention auprès des femmes avec un parcours migratoire, dans le cadre du projet TRACES, coordonné par Saadatou Abdoulkarim et financé par Femmes et Égalité des Genres Canada.
Une étude exploratoire a d’abord été réalisée auprès de femmes migrantes, pour cerner les expériences de violences genrées vécues en contexte de migration et identifier « les leviers pour un meilleur accompagnement ». De mai 2022 à juin 2023, un groupe de 9 intervenantes et travailleuses sociales se sont rencontrées pour échanger, partager leurs expériences de terrain et réfléchir aux façons de répondre aux besoins identifiés lors de l’étude exploratoire.
Parmi ces intervenantes, Chantal Cloutier et sa collègue de la Maison d’Ariane, Josianne Campeau, gardent un souvenir positif de cette expérience.
« On est en région, donc la clientèle [de femmes immigrantes] est moins répandue, mais elle est de plus en plus fréquente et on s’est rendu compte qu’on s’était pas assez outillé à ce niveau-là », relate cette dernière.
Le projet TRACES, tout comme le Guide pratique pour l’intervention auprès des femmes avec un parcours migratoire, permettent aux intervenantes d’ajuster leurs interventions à cette nouvelle réalité, à partir d’une approche féministe et intersectionnelle. Les problématiques abordées dans le guide ratissent large, avec des thèmes comme « Référer la bénéficiaire dans un contexte de carence des ressources », ou encore « Prendre soin de soi pour pouvoir prendre soin des autres ».
Chantal Cloutier se réjouit aussi qu’il ait « été construit dans l’optique qu’il soit vraiment facile et rapide [à naviguer], parce que l’immigration c’est tellement complexe, tu cherches de l’information, il y en a partout, et tu ne sais pas par ou commencer ».
Problème systémique ?
Mais le travail d’intervention, aussi bien mené soit-il, ne fait pas tout.
En marge du dépôt de plainte contre son ex-conjoint et agresseur, Lucy a été référée à plusieurs organismes, offrant notamment de l’aide juridique. Sur le plan humain, elle décrit un accueil bienveillant et chaleureux. Sauf que même si « les organismes ont la meilleure intention, dans certains cas ils ne peuvent pas faire grand-chose », déplore-t-elle, en référence à sa situation administrative complexe.
Outre l’accès au marché du travail, les possibilités de formations, d’accès aux ressources et à l’aide financière dépendent du statut migratoire des femmes. Pour les victimes de violences conjugales n’ayant pas le statut de résident permanent, par exemple, l’accès aux logements sociaux est limité. Un logement qui pourrait pourtant représenter, pour elles, une porte de sortie, voire un moyen de survie.
« Parfois, on a l’impression que la situation est sans issue », admet Chantal Cloutier, dépitée face à un système ne facilitant pas toujours le travail des intervenantes et intervenants auprès des femmes migrantes.
Aider, c’est pourtant ce que Josianne Campeau « souhaite de tout cœur ». Pour ça, « le guide va être un soutien, il va aider les intervenants à travers le Québec pour qu’on puisse mieux accueillir ces femmes, qu’elles se sentent chez elles ».
L’intervenante insiste sur l’importance de leur permettre de se sentir en sécurité : « et ça si c’est atteint en respectant leurs croyances, leurs façons de faire, ce sera 1-0 pour le guide ! », conclut-elle.