Depuis un an, le Service à la famille chinoise du Grand Montréal (SFCGM) et le Centre Sino Québec de la Rive-Sud, à Brossard, ont perdu plus de 70 % de leur subvention provinciale et fédérale en raison de l’enquête de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur une affaire de « postes de police chinois clandestins ».

Le SFCGM, qui dessert près de 8 000 familles chinoises chaque année, est au bord de la faillite et pourrait même fermer ses portes d’ici deux mois, selon ce qu’affirme sa directrice, XIXI Li, en entrevue avec le Média des nouveaux Canadiens (MNC). La banque menace de saisir l’immeuble de l’organisme s’il ne paie pas en totalité une dette de 1,6 million contractée lors de l’achat de son immeuble situé dans le quartier chinois, à Montréal.

L’organisme qui gère cette bâtisse avait des locataires qui ont presque tous quitté depuis l’annonce de cette enquête de la GRC, en plus d’avoir perdu des fonds qui provenaient d’Emploi Québec ou d’Emploi d’été Canada, entre autres.

« Pour un petit organisme qui est déjà attaqué par la désinformation de la GRC, c’est très difficile de chercher des dons. Et comment allons-nous ramasser ce don en deux mois au sein de la communauté chinoise ? Ce n’est pas possible », estime Mme Li, qui déplore du même souffle la décision de la banque.

« Pourtant, nous avons toujours payé notre hypothèque à temps », ajoute la responsable chinoise. Comme si ce n’était pas assez, Emploi d’été Canada ainsi que la Croix-Rouge leur demandent de rembourser des subventions que l’organisme avait pourtant dûment obtenues pour des projets. « Nous avons passé une période incroyablement difficile », note XIXI Li.

« Discrimination sous une autre forme »

Le 9 mars 2023, la GRC a confirmé qu’une enquête sur deux centres chinois dans la province était ouverte « visant à détecter et à perturber ces activités criminelles soutenues par un État étranger et pouvant menacer la sécurité de personnes vivant au Canada ».

Quelques jours plus tard, la ministre québécoise de l’Emploi, Kateri Champagne Jourdain, a suspendu une subvention annuelle de plus d’un million de dollars accordée aux deux organismes visés par l’enquête.

« Ceci, malgré le fait que nous avons toujours dépassé notre objectif alors que l’on critique souvent le fait que les immigrants chinois ne parlent pas français. Il restait une session. Et nous avons transféré les clients vers un autre organisme », déplore XIXI Li.

« Nous avons cinq salles de classe de francisation qui sont vides, et en même temps les Chinois ne peuvent pas trouver une place pour apprendre le français, très important à leur intégration », indique la directrice du SFCGM.

XIXI Li jure qu’elle n’a jamais été signifiée de l’enquête et n’a jamais reçu la visite d’agents de la GRC dans le cadre de cette affaire. Elle affirme avoir appris par des journalistes qui l’appelaient à réagir sur le sujet. Et depuis la publication par la GRC de la nouvelle de la tenue d’une enquête, tout dégringolait pour les organismes.

« La question de la présomption d’innocence ne s’applique pas à nous, déplore l’immigrante chinoise, tout le monde pense que nous sommes coupables. »

« C’est la discrimination et le racisme qui continuent. Paradoxalement, nous venons de souligner le centenaire de l’acte d’exclusion des Chinois, mais cela continue sous d’autres formes », fait remarquer Mme Li.

Après la Première Guerre mondiale, le gouvernement fédéral a remplacé sa taxe d’entrée discriminatoire par une prohibition totale de l’immigration chinoise au Canada.

La Loi de l’immigration chinoise (1923), aussi connue populairement comme la Loi d’exclusion des Chinois, a reçu l’assentiment le 30 juin 1923. Le lendemain, alors que les autres Canadiens célébraient le Jour du dominion, les Canadiens chinois ont souligné ce qui a été désormais connu comme « le Jour de l’humiliation ».

Poursuite de 5 millions contre la GRC

Les deux organismes communautaires chinois dirigés par XIXI Li et elle-même poursuivent la GRC en dommages et intérêts pour 5 millions de dollars. Personne n’a été accusé dans le cadre de cette enquête, qui ciblait le Service à la Famille chinoise du Grand Montréal (SFCGM) et le Centre Sino-Québec de la Rive-Sud (CSQRS). Les deux organismes ainsi que Mme Xixi Li disent avoir subi de lourdes conséquences en raison des déclarations publiques de la police à leur sujet.

Les organismes réclament 3,3 millions de dollars en dommages pour des pertes de financement qui ont suivi les allégations de la police fédérale. Ils réclament également, avec Mme Li, un total de 1,7 million de dollars en dommages moraux et punitifs pour atteinte à leur réputation

En septembre 2022, le groupe de défense des droits de la personne Safeguard Defenders a révélé l’existence de 54 « postes de police chinois » dans le monde, dont trois dans la grande région de Toronto. Le mois suivant, la GRC a indiqué enquêter sur « des signalements d’activités criminelles relatives à de soi-disant postes de police » au Canada. Ces révélations ont valu de nombreux reproches à l’ambassadeur chinois.

Jean Numa Goudou, Canadien d'origine haïtienne, possède plus de 25 ans d'expérience en journalisme. Ayant commencé sa carrière à Radio-Métropole à Port-au-Prince, il a ensuite immigré au Canada,...