La situation sécuritaire demeure tendue en Haïti, malgré l'annonce de la démission du Dr Ariel Henry. Photo: Ralp Tedy.

Plusieurs leaders de la communauté haïtienne de Montréal se réjouissent de la démission annoncée du Dr Ariel Henry comme premier ministre alors que le pays est en proie à une violence sans précédent. Parallèlement à une rencontre, lundi, de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) à laquelle le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a pris part par téléphone, le Dr Henry a indiqué dans un message préenregistré qu’il attendait la mise sur pied d’un Conseil présidentiel de sept membres pour se retirer. Ce conseil devrait prendre place cette semaine.

« Il ne faut pas se réjouir trop vite, on doit tout d’abord comprendre ce qui va se passer », prévient une des porte-parole de la Concertation haïtienne pour les migrants, Ninette Piou, qui dirige aussi le Centre communautaire Na Rivé.

« C’est un petit pas, il y a une petite lueur d’espoir, mais rien d’autre. Car les bandits continuent d’opprimer la population qui est en détresse. Le gros est à venir », admet toutefois Mme Piou.

L’ancien professeur de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Jean-Claude Icart croit pour sa part qu’il faut regarder vers l’avant et voir ce qui va sortir de ce conseil présidentiel. Il estime qu’il en était temps que le Dr Henry parte. « Je ne vois pas ce qu’il faisait. Il était devenu non pertinent depuis quelque temps », dit-il.

Idem pour le directeur général de la radio haïtienne de Montréal, CPAM, Jean Ernest Pierre qui se réjouit que la « communauté internationale l’ait forcé à démissionner ». « Mais, moi,

je le considérais démissionnaire depuis qu’il ne pouvait pas rentrer au pays », indique M. Pierre.

Violence et annulation de vol

Début mars, Ariel Henry avait quitté Haïti pour le Kenya afin de signer un accord de réciprocité avec le président, William Ruto. Entre-temps, la situation sécuritaire du pays a empiré. Des bandes armées s’en sont prises à des infrastructures de l’État comme des postes de police, l’aéroport international Toussaint Louverture à Port-au-Prince, ce qui a provoqué sa fermeture.

Tous les vols vers et en provenance d’Haïti ont été annulés par les principales compagnies aériennes et ils n’ont toujours pas repris au moment d’écrire ces lignes.

Malgré ses tentatives de passer par la République Dominicaine voisine à bord d’un avion privé affrété, M. Henry n’a pu revenir au pays. La RD ayant refusé l’atterrissage de son avion qui a dû se poser à Porto Rico. Et depuis, le premier ministre démissionnaire y est et n’a même pas pu assister à la réunion de haut niveau organisée lundi en Jamaïque par la CARICOM avec la participation du secrétaire d’État américain, Anthony Blinken.

Le leadership canadien sollicité

La concertation haïtienne CHPM qui a rencontré la presse, mardi, condamne avec la plus grande fermeté « les violences inimaginables particulièrement sur les femmes, les filles et les enfants en Haïti » et appelle le Canada à prendre le leadership de la crise multidimensionnelle sur le plan international.

Une crise exacerbée par des massacres, une pénurie critique d’eau potable, de médicaments, de nourriture et de risque d’épidémies menaçant la vie de 11 millions de personnes.

Ninette Piou, Frantz Voltaire et Marjorie Villefranche lors d'une conférence à la Maison d'Haïtié Photo: Jean-Numa Goudou
Ninette Piou, Frantz Voltaire et Marjorie Villefranche lors d’une conférence à la Maison d’Haïtié Photo: Jean-Numa Goudou

« Devant cette situation alarmante, la CHPM exhorte le gouvernement canadien à assumer du leadership au sein de la communauté internationale afin de trouver, avec les actrices et acteurs haïtiens crédibles, des solutions immédiates et durables permettant de mettre fin à la crise politique et les violences qui en découlent », écrit la porte-parole, Marjorie Villefranche, qui dirige également la Maison d’Haïti.

« Nous sommes témoins d’une catastrophe humanitaire où les droits les plus élémentaires à la sécurité, à la santé et à la vie sont bafoués », ajoute Mme Villefranche avant de considérer qu’« Il est impératif que le Canada et le Québec répondent à cet appel de solidarité. Nous ne pouvons pas rester silencieux face à la détresse d’Haïti avec qui nous lions des relations d’amitié et de fraternité. »

Le déplacement forcé de populations hors des zones de violences intensifie le besoin d’aide dans les régions qui les accueillent. Il est donc crucial de fournir assistance et ressources pour ces régions. Au-delà de l’urgence, la CHPM croit qu’investir dans le développement de ces communautés régionales est primordial pour la reconstruction durable d’Haïti.

Forte de sa force mobilisatrice et de ses valeurs fondatrices, la CHPM plaide pour une approche nouvelle et transformationnelle marquant un point de rupture avec les interventions passées. La concertation croit que les Haïtiennes, les Haïtiens et sa diaspora disposent des outils nécessaires à l’émergence d’un État juste, égalitaire et prospère en Haïti. C’est dans cet esprit que la CHPM demande l’engagement des gouvernements, des organisations non gouvernementales et des citoyens du monde entier.

La Concertation haïtienne pour les migrant.e.s (CHPM) est une initiative citoyenne mise sur pied suite à l’arrivée d’un grand nombre de migrant.e.s, majoritairement en provenance des États-Unis, à l’été 2017. Composée de plus d’une dizaine d’organismes communautaires œuvrant dans le domaine de l’immigration, l’accueil des nouveaux arrivant.e.s, l’éducation, la santé et les services sociaux, et autres, elle effectue des démarches auprès des instances gouvernementales, institutionnelles et civiles visant à favoriser une meilleure gestion et intégration des demanderesses et demandeurs d’asile récemment arrivés en sol québécois et canadien.

Jean Numa Goudou, Canadien d'origine haïtienne, possède plus de 25 ans d'expérience en journalisme. Ayant commencé sa carrière à Radio-Métropole à Port-au-Prince, il a ensuite immigré au Canada,...