Exposition d'Alexandra McCormick. "Mes œuvres réfléchissent au lieu et à la notion de territoire, en tant qu'extension du corps et des relations qui se déroulent dans le même espace. " Crédit photo : Gracieuseté de l'artiste.

« L’art, pour moi, c’est une constante qui fait partie de ma façon de comprendre le monde, de réfléchir, de poser des questions », raconte Alexandra McCormick, 45 ans, artiste visuelle originaire de Colombie.

Avant de s’installer au Canada avec sa fille, à l’été 2022, elle était professeure de sculpture et accompagnait des étudiants en thèse, entre deux sessions de créations dans l’atelier où elle exerçait. Aujourd’hui, elle a repris des études en infographie, vie de ses économies, et espère obtenir sa résidence permanente pour pouvoir « travailler comme artiste ici ».

Exposition d’Alexandra McCormick. « Mes œuvres réfléchissent au lieu et à la notion de territoire, en tant qu’extension du corps et des relations qui se déroulent dans le même espace. «
Crédit photo : Gracieuseté de l’artiste.

Alexandra McCormick est loin d’être la seule dans cette situation. Si l’on se pose de plus en plus la question de la représentation de la diversité dans le domaine artistique, ses artisans issus de l’immigration doivent se débattre avec un système qui les exclut.

Travailler en marge

Citoyenne française de 37 ans, Agathe Dessaux est arrivée au Québec en 2019, avec un Permis Vacances-Travail (PVT). À l’automne suivant, elle se lance dans une formation au Centre des textiles contemporains de Montréal, complétée avec succès.

En mai 2023, diplôme en main, elle souhaite vivre de sa pratique artisanale. Bien vite, elle est confrontée à une autre réalité : au Québec et au Canada, de nombreuses subventions pour les artistes sont réservées aux détenteurs de la résidence permanente et de la citoyenneté. Un paradoxe, pour Agathe Dessaux, car « c’est vraiment au début [de ta carrière] ou tu as besoin d’aide ».

Contacté à ce sujet, le Conseil des Arts du Canada a renvoyé le Média des Nouveaux Canadiens à la section Foire aux questions de leur site internet, détaillant les statuts migratoires requis pour accéder à leur système subventionnaire.

Exposition d’Alexandra McCormick. Crédit photo : Gracieuseté de l’artiste.

« Ce qui est difficile, explique Agathe Dessaux, c’est le flou. Il y a des choses ou c’est très clair que je n’y ai pas accès parce que je n’ai pas la résidence permanente, et il y a des choses ou ce n’est pas dit, et tu ne sais pas vraiment ». Elle a récemment dû renoncer à soumettre sa candidature à un prix offert par une compagnie d’assurance privée, imposant les mêmes critères d’immigration que les conseils des arts et la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).

Elle dénonce aussi l’incohérence de ces politiques : son programme accueillait une majorité d’étudiants internationaux, exclus d’emblée, comme elle, des soutiens financiers offerts aux artistes.

Situation complexe

Encore faut-il avoir un statut. Katell, qui a préféré taire son nom de famille, a 50 ans, dont plus d’une décennie passée au Québec, il y a longtemps. Il y a cinq ans, elle décide de revenir s’y installer avec ses enfants, dont un est de père autochtone et détient la citoyenneté canadienne. « Je cherchais une voie d’immigration, sauf qu’en fait, je ne rentre dans aucune case », déplore la travailleuse autonome, qui gagne son pain en organisant des concerts et des tournées transatlantiques, notamment avec des artistes autochtones.

Le statut migratoire n’est pas le seul problème de celles et ceux qui cumulent les statuts d’immigrants et d’artistes : « s’ils n’ont pas déjà un pied dans le milieu culturel, ils partent de vraiment zéro », concède Emanuel Robichaud, conseiller en développement de carrière artistique et culturelle au Carrefour jeunesse-emploi Montréal Centre-Ville. « Tu as beau avoir 40 ou 50 ans, tu retombes dans la relève », déplore-t-il.

À son poste, il a d’ailleurs vu défiler de nombreux artistes, déjà bien établis dans leur pays d’origine, reprendre des études au Québec, uniquement pour se faire un réseau. Selon lui, « sans contact, ces métiers-là sans presque impossible à faire ».

La question linguistique peut également faire barrage. Dans les disciplines comme le théâtre ou le cinéma, Emanuel Robichaud admet qu’il est encore difficile de s’intégrer avec un accent non québécois. « Mais ça s’améliore », nuance-t-il.

Dans un milieu précaire et « très fragilisé par la pandémie », il reconnaît aussi un obstacle supplémentaire aux immigrants : « parce qu’il faut que tu te trouves rapidement un travail, des ressources pour répondre à la pyramide des besoins […] encore plus si tu as immigré avec des enfants ».

Silence radio

Au Canada, sur les 158 000 artistes déclarés lors du recensement de 2016, seuls 21% étaient des immigrants, alors qu’ils représentent 24% de la population active, d’après une étude de Hill Strategies. L’écart se creuse lorsque pour les artistes racialisés, natifs ou immigrants : ils étaient 15% des artistes en 2016, contre 21% dans l’ensemble de la population active.

D’après Emanuel Robichaud, les institutions culturelles multiplient les initiatives pour soutenir les artistes issus de la « diversité », et « font preuve d’une ouverture de plus en plus grande ».

Une impression corroborée par le Conseil des arts du Canada, dans son rapport annuel 2022-2023 : « Conformément à l’engagement du Conseil d’améliorer l’accès à son financement pour les communautés historiquement négligées et marginalisées, la part du financement octroyée aux personnes autochtones, noires et racisées, aux pratiques des artistes sourds ou handicapés, aux communautés de langue officielle en situation minoritaire et aux personnes présentant plus d’une de ces caractéristiques identitaires a augmenté considérablement depuis le lancement du plan stratégique [2021-2026] ».

Seul bémol, pas un mot sur les artistes et acteurs du milieu culturel issus de l’immigration.

Face à ce silence des institutions quant aux conditions de travail des artistes immigrants se tissent d’autres réseaux de solidarité, de soutien, s’écrivent d’autres manières de faire communauté… et de continuer à créer.

Adèle Surprenant est journaliste indépendante. Elle a travaillé en Amérique du Nord, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Europe, et s’intéresse aux questions liées à la migration, au genre,...