Radio-Canada ose enfin avec une série complètement noire. « Lakay Nou » (Chez nous), qui raconte l’histoire d’un couple québécois d’origine haïtienne pris entre deux générations, notamment leurs parents nés en Haïti et qui ont immigré avec leurs racines, leurs mœurs et croyances religieuses et mystiques. Le créole, la musique compas, le griot pimentent les conflits entre les deux solitudes culturelles dans une comédie à couper le souffle.
Catherine-Audrey Volcy, Stanley Exantus, Kiara Gaudin, tous nés au Québec, sont les purs fruits de la culture d’ici. Leurs parents, nés en Haïti, sont attachés à leurs racines et aux attentes plus traditionnelles de leur génération. Ils sont omniprésents dans leurs vies, surtout les parents d’Henri (Fayolle Jean Sr, Mireille Métellus) qui habitent juste à côté de chez eux. Quant aux parents de Myrlande (Marcel Joseph, Yardly Kavanagh), issus de la bourgeoisie haïtienne, ils s’expliquent mal les choix de vie de leur fille.
La série, coécrite par Frédéric Pierre, Catherine Souffront et Angelo Cadet, et réalisée par Ricardo Trogi, compte 10 épisodes de 22 minutes. Elle est mise en ligne sur ICI TOU.TV EXTRA depuis le 18 janvier et sera diffusée sur ICI TÉLÉ en avril prochain.
Pas une question de cote d’écoute
Un public restreint a visionné les premiers épisodes mercredi 17 janvier à la Maison d’Haïti et les réactions du public augurent un succès phénoménal de la série, du moins auprès de la communauté haïtienne au Québec. La première saison n’était même pas lancée que Radio-Canada annonçait publiquement qu’il y en aurait une deuxième.
Mais pour André Béraud, premier directeur des Émissions dramatiques et longs métrages de Radio-Canada, la chaîne publique ne cherchait pas nécessairement à augmenter sa cote d’écoute en acceptant le projet.
« La finalité n’est pas pour nous la cote d’écoute », a-t-il dit. « Je ne veux pas mettre le poids sur Lakay Nou et dire qu’il faut absolument qu’elle marche mieux que la série ‘Discussion avec les parents’, qui faisait 1.2 million avec une part de marché intéressante le lundi soir. »
M. Béraud, qui fait partie de la communauté noire, a commencé dans le métier de production télévisuelle depuis les années 80. Et cela fait 14 ans qu’il est à Radio-Canada et qu’« on dit qu’on est ouvert ». Il raconte que cela n’a pas été facile pour lui non plus.
« Plus dur pour nous »
Lorsqu’on lui demande pourquoi cela a pris autant de temps avant d’avoir une série originale axée sur les nouvelles réalités de la société d’aujourd’hui, il répond tout bonnement qu’« on n’avait pas trouvé le bon projet ». Il ne nie pas non plus qu’il y a une certaine barrière au sein de la société.
« C’est dur pour tout le monde », précise M. Béraud. « Est-ce que c’est plus dur pour nous ? Peut-être. » Mais aujourd’hui, de plus en plus, on voit une émergence d’artistes issus des communautés ethnoculturelles.
Le problème, selon lui et pour certains acteurs de la série Lakay Nou, serait culturel. Les parents des Québécois d’origine immigrante n’encourageraient pas leurs enfants vers cette voie.
« Il y avait une ouverture, mais on n’a pas été encouragés à faire ce métier qui est à apprendre. On ne peut pas improviser ce métier-là », estime M. Béraud. Un point de vue partagé par l’un des coauteurs de la production.
« Ce n’était pas des métiers encouragés dans nos communautés. Par conséquent, cela va être dur de voir naître de jeunes talents qui proviennent de ces communautés », renchérit Frédéric Pierre, qui pratique le métier depuis 32
ans pourtant.
La genèse
Comme Angelot Cadet, qui le fait depuis 40 ans, M. Pierre avait obtenu plusieurs rôles dans des séries à la télé (« Alerte Amber » en 2019 ou « Cerebrum » en 2022), mais jamais comme producteur ou scénariste. Lors du Bye-Bye de 2020, il a été invité à faire un sketch sur le profilage racial à Repentigny.
« C’est de là que m’est venue la décision de lancer cette production », dit-il. Mais depuis 20 ans, l’idée germait dans sa tête sans savoir que la série allait tourner autour de cette histoire époustouflante.
« Lakay Nou est nécessaire, car on amène des traits culturels que les Québécois aussi bien que les Haïtiens d’origine ne connaissent pas, à l’instar des Africains qui vivent à Paris », lance l’acteur et coauteur de la série Angelot Cadet lors du lancement. Pour lui, la comédie est un bon vecteur d’éducation, de sensibilisation et il croit que « les gens ont besoin de ce reflet identitaire ».
Pour sa part, Frédéric Pierre estime que Lakay Nou participe d’un changement de paradigme et d’image que la société d’accueil a des Québécois d’origine immigrante.
« Pour moi, c’était urgent que cela se fasse dans notre communauté, puisque je commençais à trouver cela dangereux que tout ce qu’on entend soit toujours dans la misère, l’affront. C’est sûr que cela a un impact sur notre conscient collectif, ce n’est pas sain », – Frédéric Pierre.
La série est l’œuvre des Productions Jumelage, fondées par Frédéric Pierre avec la perspective d’encourager le développement professionnel des artistes et artisans du milieu télévisuel issus de la diversité. Pour le projet Lakay Nou, le jumelage entre travailleurs aguerris et de la relève s’est d’ailleurs avéré une belle réussite. Il a permis notamment à Anderson Jean (réalisation), Angelo Cadet (direction artistique et scénarisation), Irmela Degbe (assistance à la réalisation) et Lu-Sergei Denaud (production) de bénéficier du programme.
Enfin, une série complémentaire en versions balado et vidéo sera lancée en avril prochain, à l’occasion de la diffusion de Lakay Nou sur ICI TÉLÉ. L’humoriste Erich Preach s’est inspiré des thématiques de la série pour échanger sur des sujets universels pimentés à l’haïtienne.
Entouré des acteurs principaux de la série et de ses amis, l’humour et l’autodérision sont au rendez-vous ! Vous serez invités à plonger au cœur d’histoires personnelles et d’anecdotes cocasses à travers lesquelles on verra des liens se tisser, quelles que soient nos origines. À découvrir en avril sur la plateforme Radio-Canada Ohdio.