«L’entrepreneuriat permet de créer une autre relation à la société, affirme Adelle Tarzibachi, propriétaire de l’entreprise Les Filles Fattoush. C’est aussi un moyen de susciter de l’emploi pour des personnes immigrantes.» 

L’idée d’offrir du travail à des personnes réfugiées l’a motivée à créer Les Filles Fattoush, puisque son équipe est constituée de femmes qui sont réfugiées de Syrie. 

«Parfois, on prend en pitié les réfugié.e.s syrien.ne.s, relève Mme Tarzibachi. Nous amenons une autre vision de nous dans nos relations avec le public, en mettant à profit le savoir-faire de nos employées, qui vient de la vaste culture culinaire existant en Syrie.»

Créée en 2017, Les Filles Fattoush se distingue à la fois comme un succès au plan entrepreneurial et au plan social. Avec des produits issus de la culture culinaire syrienne et concoctés par son équipe (épices, confitures, desserts, etc.), pour être ensuite vendus en épicerie, la marque fait ainsi connaître une tradition particulièrement riche au Québec. 

Adelle Tarzibachi (à droite), propriétaire de l’entreprise Les Filles Fattoush et Geneviève Comeau, sa directrice générale. Photo de courtoisie.

L’entreprise ouvre aussi chaque été un kiosque au marché Jean-Talon. «La réaction des gens est enthousiaste, dit Mme Tarzibachi. La cuisine est indissociable du partage dans la culture syrienne, c’est l’esprit que nous retrouvons lors de ces échanges avec le public.» 

Une tendance actuelle

Rasha Youssef et Elvira Seydaliyeva n’auraient jamais imaginé que leurs passions pour le travail humanitaire et l’artisanat leur permettraient de créer leur propre entreprise au Canada. Originaires respectivement de Syrie et d’Azerbaïdjan, leur objectif premier en tant que réfugié.e.s consistait à reconstruire leur vie.

«C’était notre rêve, dit Youssef. Nous avons eu la vision de créer ensemble notre propre entreprise, pour vendre des produits faits à la main par des réfugié.e.s syrien.ne.s au Canada.»

Un rêve qu’il.elle.s veillent maintenant à rendre encore plus réel: Youssef et Seydaliyeva ouvrent en mars leur première boutique au marché pour enfants de Granville Island à Vancouver. 

Soumak Boutique représente à leurs yeux une lettre d’amour adressée à leurs expériences de réfugié.e.s ainsi qu’à leurs cultures d’origine. L’entreprise vise à soutenir le travail de femmes réfugiées en leur offrant une plateforme pour mettre en lumière et vendre leurs produits artisanaux.

«Grâce à cette connexion avec des personnes réfugiées, nous faisons découvrir aux gens d’ici les couleurs, la beauté et les histoires que comportent les cultures du Moyen-Orient», mentionne Youssef.

Rasha Youssef (à gauche) et Elvira Seydaliyeva (à droite) au marché de Noël de Vancouver. Photo de courtoisie.

Youssef et Seydaliyeva représentent une tendance en plein essor, celle du travail indépendant et de l’entrepreneuriat chez les réfugié.e.s au Canada. Selon l’Agence des Nations Unies pour les Réfugié.e.s, 14,4 % des réfugié.e.s au Canada sont des travailleur.e.s indépendant.e.s ou des propriétaires d’entreprise, alors que c’est le cas de 12,3 % des personnes nées au Canada.

Venu au Canada en tant que réfugié de la Syrie, Karim Alothmani s’est établi à Vancouver en 2018. Après deux ans de travail à titre d’employé, il décide de lancer Backspace, un service de recharge de produits d’hygiène pour la maison et le corps, réduisant les déchets plastiques en Colombie-Britannique. 

Aujourd’hui, Alothmani, sa partenaire et son frère exploitent une camionnette de livraison de recharges, qui apporte des produits locaux et naturels aux portes des consommateur.trice.s. 

«Nous fournissons aux consommateur.trice.s conscient.e.s des produits d’usage quotidien, comportant un faible taux de déchets, afin de promouvoir des modes de vie durables et sains», explique Alothmani.

Relever les défis

Au-delà de l’incertitude liée au lancement d’une nouvelle entreprise et à l’installation dans un tout nouveau pays, de nombreux.se réfugié.e.s choisissent de créer leur entreprise. Ce qui leur permet parfois de donner du travail à d’autres Canadien.ne.s. 

Selon un rapport publié en 2017 à l’Université métropolitaine de Toronto, les nouveaux.elles arrivant.e.s rencontrent davantage d’obstacles que les personnes nées au Canada pour accéder à du financement, de même que pour comprendre les marchés canadiens ainsi que composer avec les réglementations et les taxes.

Le rapport appelle à un meilleur accès aux services de soutien aux entrepreneur.e.s nouvellement arrivé.e.s, ainsi qu’aux subventions et au financement gouvernemental.

«Il n’est pas facile de trouver des ressources parce que le système ici est nouveau pour nous, note Seydaliyeva. Il serait avantageux d’avoir un accès plus direct à du financement, notamment pour les petites entreprises.»

Les barrières linguistiques, de même que le manque de relations avec les réseaux locaux impliquent aussi des difficultés en matière d’entrepreneuriat.

«Le Canada n’est pas le meilleur endroit pour vous lancer en affaires en tant qu’immigrant.e ou réfugié.e, car il peut être difficile de développer des relations humaines, explique Karim Alothmani. Presque tous les mois, nous vivons des questionnements quant à l’avenir de notre entreprise.»

En outre, de nombreuses personnes demandant le statut de réfugié.e.s au Canada se trouvent aux prises avec des blessures et des traumatismes. Sans un soutien adéquat, les défis, pour certaines personnes, peuvent sembler insurmontables.

«Pour les personnes immigrantes, les réfugié.e.s ou les nouveaux.elles arrivant.e.s, c’est un double stress en raison du processus fatiguant, voire traumatisant que représente l’immigration, résume Youssef. Il faut du temps et du travail pour atteindre des résultats dans le monde des affaires, mais pour quelqu’un qui est venu avec un traumatisme, cela peut être d’autant plus exigeant.»

Un risque à prendre

C’est peut-être un risque, mais la création d’une entreprise dans un nouvel environnement constitue un défi qui en vaut la chandelle pour de nombreux.ses entrepreneur.e.s réfugié.e.s. 

«C’est une décision très difficile à prendre pour quiconque, dit M. Alothmani. Quel que soit votre statut ou votre parcours, cela demande du courage de quitter un emploi stable pour aller vers quelque chose d’incertain.»

«Quand j’ai pris cette décision, je l’ai fait dans un contexte et d’incertitude et de pandémie, mais tant que réfugié, ma vie était parfois en pause et je devais repartir de zéro, dit-il. Bien sûr, j’ai perdu la stabilité d’un salaire régulier, mais je dirais que je suis heureux d’avoir pris cette décision.»


Une version de cet article a été publié initialement en anglais.

Alexis Lapointe est rédacteur professionnel et journaliste indépendant. Après l’obtention en 2021 d’un Baccalauréat ès arts de l’Université de Montréal, il travaille actuellement à une série...