Sur le papier, les politiques migratoires du Québec et du Canada apparaissent comme égalitaires. En pratique, certaines sont discriminatoires à l’égard des femmes immigrantes. « Il est beaucoup plus difficile pour une femme de migrer », peu importe son statut et sa trajectoire, rappelle France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone.

D’entrée de jeu, elle estime que les [migratoires canadiennes] canadiennes sont meilleures que celles d’autres pays occidentaux. Les politiques et règlements en matière d’immigration ne seraient pas discriminants à l’égard des femmes, croit France-Isabelle Langlois.

Dans l’application, dit-elle, « il y a toujours une part d’interprétation de la part des personnes qui accueillent les demandes et qui les évaluent ». Une interprétation pétrie de biais, conscients ou inconscients, notamment sur le genre.

Déqualification

Pour Myriam Dumont-Robillard, professeure chargée d’enseignement à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, « à partir du moment où on sélectionne les immigrants sur la base des compétences, ça reproduit le même sexisme inhérent au marché du travail ».

L’une des principales voies d’accès pour s’installer au Québec, le Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ), encourage par exemple les profils ayant « une formation et des compétences professionnelles qui faciliteront votre insertion en emploi au Québec ». D’autres critères, comme les « connaissances linguistiques » et « les caractéristiques du conjoint », sont également pris en compte, annonce le site internet du gouvernement provincial.

Comme les femmes « se retrouvent encore aujourd’hui principalement dans des industries qui sont dévalorisées et qui sont considérées comme du travail non productif , poursuit Myriam Dumont-Robillard, elles ont beaucoup moins accès aux programmes d’immigration».

Et lorsqu’elles y ont accès, c’est bien souvent par la petite porte. En témoignent le Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial et le Programme pilote des aides familiaux à domicile du gouvernement fédéral, qui ciblent tous deux des professions traditionnellement féminines.

De nombreuses candidates à ces programmes, même si elles détiennent des diplômes et des expériences professionnelles, « subissent une grande déqualification professionnelle quand elles arrivent au Canada, parce que le métier d’aide familiale est considéré comme un métier peu qualifié », détaille-t-elle.

Immigration temporaire, migrantes précaires

France-Isabelle Langlois rappelle par ailleurs que « ces personnes-là sont particulièrement vulnérables, car elles sont souvent logées chez leur employeur et donc elles sont plus susceptibles de vivre toutes sortes d’abus ». Des abus physiques, psychologiques, financiers et/ou sexuels, met en garde un document produit en 2021 pour le compte d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

La vulnérabilité des femmes migrantes à tout type d’abus ou de violence est accentuée par le caractère temporaire de leur statut migratoire.

Le Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial et le Programme pilote des aides familiaux à domicile offrent, par exemple, un accès restreint à la résidence permanente : 2 500 places par année et par programme. Ces quotas sont atteints dès le mois de janvier, d’après Myriam Dumont-Robillard, qui dénonce une voie d’accès plus rapide à l’immigration permanente pour les travailleurs étrangers employés dans les secteurs traditionnellement plus masculins.

Face au vieillissement de la population et à la pénurie de main-d’œuvre, « il n’y a pourtant rien de temporaire dans les besoins concernant les emplois du care en ce moment », souligne-t-elle.

Une femme qui migre à travers le regroupement familial, parrainée par son conjoint ou son époux, est aussi vulnérabilisée par son statut, puisqu’« elle est placée dans une situation de dépendance par rapport à son mari », précise France-Isabelle Langlois. Même s’il est abusif ou violent, il lui est plus difficile d’envisager de briser cette « dépendance » car la régularité de son statut au Canada en dépend.

Une double peine pour les demandeuses d’asile

Outre l’immigration dite économique, les migrantes pour cause humanitaire expérimentent aussi les angles morts sexistes des politiques québécoises et canadiennes.

Depuis 2018, le gouvernement du Québec a retiré l’accès aux garderies subventionnées aux familles qui ont déposé une demande d’asile dans la province. Après avoir été infirmée par la Cour supérieure en avril 2022, la décision a été portée en appel par le gouvernement. Une décision qui « […] contribue aux inégalités de genre en empêchant le plus souvent les femmes demandeuses d’asile d’intégrer le marché du travail, ce qui a un impact négatif sur leurs droits économiques et sociaux, en plus de porter atteinte à leur droit au travail », stipule Amnistie internationale dans un communiqué de presse du 3 novembre 2023.

Les expériences des femmes sont aussi bien souvent invisibilisées, puisque le mari est identifié, presque par défaut, comme « demandeur principal » – dans le cas où les demandes d’asile des membres d’une même famille ont été déposées en même temps, et sont donc étudiées ensemble. « Bien que, en vertu de la loi, les demandes de chaque membre de la famille doivent être évaluées individuellement, le fait qu’un membre de la famille soit identifié comme le “demandeur principal” contribue à réduire l’attention accordée à l’écoute des expériences des femmes et des filles », renseigne le Conseil canadien pour les réfugiés, dans un plaidoyer paru en mars 2019.

Aller de l’avant

Pour réduire la vulnérabilité des femmes migrantes, la directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone préconise la régularisation des personnes sans statut ou qui ont un statut précaire, ou encore la révision des statuts des travailleuses étrangères pour qu’elles puissent accéder à l’immigration permanente.

Les politiques d’inclusion et d’intégration sont aussi à considérer. Myriam Dumont-Robillard rappelle par exemple que si la francisation est offerte à tous les nouveaux arrivants au Québec, les cours de français se tiennent souvent en entreprise. Or, seules 62,1 % des femmes immigrantes de 15 ans et plus sont en emploi, contre 69,9 % pour les hommes immigrants, selon les données de Statistique Canada (2022).

À en croire la professeure, la marche est encore longue. « Aujourd’hui, on a essayé de créer un système [d’immigration] complètement neutre et objectif. Mais il reproduit exactement les discriminations historiques, basées sur la construction d’une nation canadienne blanche et économiquement productive », se désole-t-elle.

Adèle Surprenant est journaliste indépendante. Elle a travaillé en Amérique du Nord, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Europe, et s’intéresse aux questions liées à la migration, au genre,...