« Je me sens très heureuse », s’exclame d’emblée Filomena Faria après la cérémonie de la fête nationale organisée au parc du Portugal à proximité du quartier du Plateau-Mont-Royal. Filomena vit au Canada depuis 56 ans mais n’a rien oublié de son pays d’origine, malgré l’océan Atlantique qui la sépare de l’archipel des Açores, là où elle est née. 

« J’aime beaucoup lire, pratiquer ma langue, la montrer à mes enfants et petits-enfants », explique celle qui apprécie voir autant de monde réuni en ce jour si spécial pour elle. Orchestre philharmonique, chants et costumes traditionnels… La culture de Filomena était à l’honneur. Sans oublier les spécialités culinaires portugaises, pastéis de nata, croquettes de morue, et verres de vin de Porto, dont les convives se sont régalés après la fin des discours.

Carla, habillée en costume traditionnel, apporte du vin de Porto aux personnes rassemblées après la cérémonie. Photo : Clément Lechat

« C’est un jour important qui me permet de m’identifier […] Cela fait chaud au cœur de le célébrer », explique Paula Ferreira, présidente de la Maison des Açores du Québec, une association qui promeut la culture portugaise et açoréenne. À ce titre, Paula Ferreira faisait partie du parterre d’officiels composé, entre autres, du consul général du Portugal à Montréal, Francisco Saraiva. 

Un jour pour les Açores

Juin est le mois du patrimoine portugais au Canada, où 448 305 personnes déclarent être de cette origine, d’après les données de Statistique Canada. L’année 2023 marque d’ailleurs le 70ème anniversaire du début de l’immigration officielle des Portugais vers le Canada, lancée en 1953 à la suite de la signature d’un accord entre les deux pays. 

Parmi les candidats au départ, on comptait de nombreuses personnes quittant les Açores, un archipel de neuf îles situé à l’Ouest des côtes du Portugal, de telle sorte que, comme Filomena et Paula, 60% des Portugais au Québec en seraient aujourd’hui originaires, selon l’Association des Émigrants Açoréens. 

Paula Ferreira, présidente de la Maison des Açores du Québec (gauche), et Filomena Faria (droite), membre de cette même association. Photo : Clément Lechat

En plus du jour du Portugal, il existe donc un « jour des Açores », célébré le 29 mai cette année. « Les gens des Açores portent avec beaucoup de fierté leur origine insulaire », insiste Paula.

Selon elle, les cultures portugaises et açoréenne sont similaires, mais l’archipel honore les traditions plus intensément, comme celles du Saint-Esprit, longues de huit semaines. Les Açoréens seraient restés plus insulaires et moins cosmopolites. « Nous sommes comme une goutte d’eau dans ce grand océan », explique la native de São Miguel, l’île la plus peuplée de cette région autonome du Portugal. 

Passé et présent

Ce sentiment d’appartenance à la communauté lors du jour du Portugal anime également Gilberto Fernandes, historien spécialiste de la diaspora portugaise au Canada à l’origine d’une récente exposition et site internet racontant son histoire. « C’est l’occasion d’être avec mes concitoyens et de me connecter avec une partie de mon identité », résume celui qui a grandi à Lisbonne et vit maintenant à Toronto.    

Bien que le « jour du Portugal, de Camões et des Communautés Portugaises », de son titre complet, constitue une célébration culturelle, il a toujours été instrumentalisé pour faire passer des messages politiques, selon l’historien. Dès 1910, l’instauration de cette fête non-religieuse par la jeune Première République portugaise vise à contrer l’influence de l’Église catholique. 

Gilberto Fernandes, historien spécialiste de l’histoire de la diaspora portugaise au Canada. Photo : Courtoisie

Par la suite, de 1933 à 1974, lors du régime de l’Estado Novo, la dictature transforme cette journée en « une fête nationaliste et militariste », explique Gilberto Fernandes. Dans les années 1960, le régime est sous pression internationale en raison de son refus d’accorder l’indépendance à ses colonies. Il se tourne ainsi vers sa diaspora en utilisant le jour du Portugal pour diffuser sa propagande auprès d’elle. 

Les célébrations ne faisaient cependant pas l’unanimité dans la communauté portugaise du Canada en raison de la présence d’opposants au régime et de personnes fuyant la conscription militaire. Alors que certains perturbaient les célébrations, d’autres en profitaient pour se rassembler avec leurs compatriotes. « Mes les antifascistes étaient fièrement portugais », insiste Gilberto Fernandes. 

Passer le flambeau

Bien qu’aujourd’hui le Portugal soit devenu une démocratie, l’accent mis sur la diaspora portugaise lors de la fête nationale sert encore au pays à s’affirmer comme un pays d’ampleur internationale, comme à l’époque de l’empire colonial. « Les communautés sont devenues les porte-drapeaux de la nation portugaise », explique l’historien.  

Signe de ce soft power, les célébrations officielles du jour du Portugal ont parfois été coorganisées avec la communauté portugaise d’une ville étrangère, comme à Paris, Rio de Janeiro et Boston. Abritant la 6ème plus grande diaspora portugaise au monde, le Canada pourrait peut-être accueillir ces célébrations dans le futur.

Mais Gilberto Fernandes pense qu’un travail de remise en question est avant tout nécessaire pour que la communauté aborde son passé différemment. Jusqu’en 1977, le jour du Portugal était également appelé « le jour de la race ». Selon l’historien, les célébrations de la diaspora ont encore parfois un arrière-goût impérialiste, comme le fait d’honorer des navigateurs. « Ce sont des récits très problématiques, car ils s’accordent bien avec l’histoire coloniale du Canada qui a effacé des milliers d’années de civilisation autochtone de ce continent », explique-t-il. 

Un autre défi est de maintenir l’intérêt des jeunes générations pour la culture de leurs parents et grands-parents. À la Maison des Açores du Québec, on essaye de les attirer au sein des groupes de danse folklorique et de musique. Lors des célébrations du jour du Portugal à Montréal, on voyait de jeunes membres de la communauté vêtus de costumes traditionnels, signe que la relève s’organise peu à peu.

Clément Lechat est diplômé en journalisme de l'Université Concordia. Il s'intéresse à la politique sous toutes ses facettes à travers le logement, l'immigration et les communautés marginalisées....