Pâtisseries, salons de coiffure, épiceries, boucheries halal, boutique de vêtement tenues par des commerçants maghrébins: le Petit Maghreb, dans le quartier Saint-Michel, permet une incursion en Afrique du Nord. À toute heure du jour, on y retrouve nombre de Montréalais originaires du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie qui socialisent dans les cafés, comme le Sidi Bou et le Tim-Gad.
Le tronçon de la rue Jean-Talon Est entre les boulevards Saint-Michel et Pie-IX «semble être devenu une référence de la maghrébinité montréalaise», concluait en 2014 dans un article universitaire Bochra Minai, désormais commissaire à la lutte au racisme et aux discriminations systémiques de la Ville de Montréal.
Le secteur a vécu un essor à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Des marchands maghrébins ont profité des loyers raisonnables alors que les commerces italiens et grecs quittaient progressivement Saint-Michel. Montréal accueillait à ce moment une vague d’immigration maghrébine, notamment en raison de la décennie noire qui sévit en Algérie.
Au Marché Castel, les gens viennent parfois simplement «pour passer un moment», sans rien acheter, observe Toufik Belamri, responsable de l’épicerie algérienne. «C’est loin l’Algérie. Quand ils viennent ici et qu’ils retrouvent des produits marocains, tunisiens, algériens, ça les touche, ça les réconforte», estime-t-il.
Chaque communauté immigrante de Montréal à son quartier, et il est essentiel que les Maghrébins aient le leur pour se retrouver, abonde Yacine B., propriétaire du salon de barbier Maghreb United. «Chaque immigrant, quand il descend dans le Petit Maghreb, c’est comme un voyage pour lui», souligne-t-il.
Une vitalité commerciale fragile
«Ça bouillonne! Le soir, le matin, il y a toujours du monde, il y a toujours du mouvement [au Marché Castel]», lance Toufik Belamri. Une observation que peut constater NCM lors de sa visite. «Si vous venez lors du ramadan, c’est plein ici», ajoute l’épicier.
Tous ne sont pas aussi optimistes cependant.
Les affaires sont difficiles présentement chez S.O.S. services informatiques, boutique de la rue Jean-Talon. «C’est un petit peu mort», se désole Omar Habtiche, propriétaire. En versant le salaire de ses employés et en s’accordant «une petite paye», le commerçant algérien arrive à peine à son seuil de rentabilité. Il assure toutefois garder espoir.
Selon lui, plusieurs entrepreneurs du Petit Maghreb vivent également des difficultés économiques. «Il y a plein de commerçants qui vendent leur commerce et qui changent de place.» Omar Habtiche impute notamment cette précarité aux travaux majeurs sur Pie-IX, qui perdurent depuis plusieurs années.
Même son de cloche chez le barbier Yacine B. : «Avant les travaux, le quartier était actif. Mais les travaux ont bousculé tous les commerces.»
Malgré tout, le secteur conserve une importance économique pour les populations maghrébines, note Bochra Minai. «Le Petit-Maghreb, comme zone de concentration des activités commerciales, offre une panoplie d’emplois aux commerçants [d’origine maghrébine] ainsi qu’à leurs salariés qui peuvent ainsi contrer le chômage ou les discriminations qui les attendent sur le marché de l’emploi», a-t-elle conclu dans son article, Mise en visibilité de l’ethnicité maghrébine à Montréal : Le cas du Petit-Maghreb.
Une fenêtre sur l’Afrique du Nord
Le Petit Maghreb peut être une vitrine pour faire connaître la culture et les produits marocains, algériens et tunisiens au reste de la population montréalaise, croit Omar Habtiche. Le secteur est «une bonne publicité pour les Maghrébins», estime-t-il.
«À 99%, ce sont des Maghrébins qui sont ici. Nous, on veut avoir tout le monde», affirme le membre fondateur de l’association commerciale du Petit Maghreb. Le rayonnement du secteur était l’un des objectifs de l’association, qui s’est transformée en société de développement commerciale (SDC) en bonne et due forme. La SDC du Petit Maghreb a été dissoute cet été en raison de désaccord entourant les cotisations annuelles obligatoires.
«On veut toucher un maximum de clientèle, pas simplement les gens du Maghreb», soutient Toufik Belamri. Le Marché Castel a d’ailleurs bonifié sa sélection de produits «occidentaux», note-t-il.
Cela étant, il reste beaucoup du travail à faire pour faire du Petit Maghreb un ambassadeur pour les communautés immigrantes du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie, estime Yacine B. Autant du côté culturel, que de l’aménagement urbain, de l’entretien, que de la vitalité commerciale.
Le commerçant espère que le quartier «va devenir plus propre, plus lumineux, et plus achalandé». «La Ville de Montréal ne fait pas son travail. Le quartier est dégueulasse», déplore-t-il. Le Petit Maghreb souffrirait notamment de de la comparaison avec le quartier Rosemont, à deux coins de rue, mais aussi avec d’autres quartiers culturels comme la Petite-Italie et le quartier chinois, selon lui.
Malgré ses défis, Yacine B. invite tous et toutes à visiter le Petit Maghreb. «C’est un bon endroit à fréquenter! C’est sécuritaire et c’est agréable.»