Une professeure de français d’Algérie, souhaitant rester anonyme pour des raisons de sécurité, Makundi Andremy, un mécanicien du Mali, Ted-Carl Mahoungou, un communicateur d’entreprise du Congo-Brazzaville, Mabele Cherifi, un grutier de la RDC, et Sadou Diallo, un journaliste de la Guinée-Konakry, sont des demandeurs d’asile à la recherche d’un emploi rencontrés au Centre de ressources en employabilité Montréal-centre-ville (CREMCV) et viennent de tous les horizons.
Ils sont là depuis deux ou trois mois, tout au plus. Ces migrants, arrivés par avion ou après des périples à travers une dizaine de pays, ont l’air fatigués, stressés, exténués et sont très discrets sur leurs histoires. Mais ils veulent travailler et tentent, pour la plupart, d’intégrer le projet pilote lancé par le ministère québécois de l’Emploi, dont l’objectif est d’embaucher 1500 travailleurs pour le secteur de la santé sur une période de trois ans.
« Pour l’instant, nous n’avons pas reçu de médecins, car il y a d’autres programmes pour eux, mais c’est vraiment très diversifié. Il y a des personnes qui n’ont jamais travaillé dans la santé et qui souhaitent intégrer le système », se réjouit Jemima Charic, directrice générale du CREMCV, devant l’engouement constaté.
Mais il y en a aussi qui sont en parfaite adéquation avec leurs compétences, comme Bhen Ernesto Mvoula, cet infirmier fraîchement arrivé du Congo avec plus de 15 ans d’expérience dans son pays.
Pour une grande majorité d’entre eux, le dépaysement rime avec un changement de métier pour pouvoir amener du pain et du beurre sur la table. Ils veulent tous aller dans le secteur de la santé. Sauf un journaliste, qui, après avoir assisté à la séance d’informations sur ce qui l’attend dans le système de santé, a décidé de battre en retraite.
«Moi, je veux continuer dans mon métier, affirme Sadou Diallo la tête altière, s’il s’agissait de changer de domaine, je pouvais le faire en Guinée et rester tranquille.»
Plus de $ 23/h sans qualifications
L’enseignante algérienne, elle, veut tourner la page. Lorsqu’on lui demande si le secteur de la santé l’intéresse, elle répond sans broncher : « Oui, absolument ». Lors de la séance d’information du 12 décembre 2023, ils étaient une quarantaine ce jour-là à y assister.
Ils sont, en majorité, originaires d’Afrique noire et « une demi-douzaine d’Haïtiens », qui cherchent à dégoter un boulot ne demandant pas trop de qualifications et constituant une porte d’entrée dans le système de santé au Québec.
Pour être admissibles, les candidats doivent détenir un permis de travail valide et un niveau de français intermédiaire, afin de décrocher des postes tels que préposés aux bénéficiaires (pour ceux ayant de l’expérience en santé dans leur pays), préposés aux services alimentaires, à l’entretien ménager, agents administratifs, auxiliaires aux services de santé et sociaux, ainsi que des aides au service.
« Pour l’instant, ce sont des emplois d’entrée à plus de 23 dollars de l’heure, avec des conditions comme 9,5 jours de maladie, 20 jours de vacances. Il y a quand même de bonnes conditions et des avantages sociaux », souligne la directrice de l’organisme d’aide à l’emploi, Jemima Charic.
Moins d’une centaine de CV
Au CREMCV, les participants bénéficient de services d’aide à l’emploi, tels que la réécriture de leur CV, des formations sur les Normes du travail au Québec, ou encore l’acclimatation aux codes et signes de la société d’accueil. Cette formation peut durer de trois semaines à deux ou trois mois, selon la vitesse du candidat, avant que son dossier ne soit déposé dans un « Fichier national » dans lequel les employeurs peuvent sélectionner de la main-d’œuvre.
Au total, seulement 66 CV ont été déposés dans le classeur, dont un seul provient de la région de Québec, la capitale. Le reste vient de la grande région de Montréal, où se concentrent les immigrants à statut précaire.
Le programme, démarré il y a trois mois, fonctionnait sur la base du réseautage et du référencement dans le milieu. Mais, depuis l’annonce de la ministre de l’Emploi il y a plus d’une semaine, les demandeurs d’asile se ruent vers l’organisme montréalais dans l’espoir de décrocher un emploi.
Pour assister aux séances d’information, il faut avoir une convocation, note la directrice générale du CREMCV. «Mais souvent, quant il y a une personne : ah ben oui, j’en ai parlé à mes amis et du coup il y en quatre qui arrivent, sans s’être inscrits au départ», explique Mme Charic, dans une allusion à l’engouement pour le projet.
Ils viennent d’Haïti, du Sénégal, de la Côte-d’Ivoire, du Mali, du Congo, de la Guinée, majoritairement de l’Afrique en fait.
Dotés de permis de travail et de carte d’assurance sociale temporaire, les demandeurs d’asile ne peuvent pas, en revanche, aller à l’école ni bénéficier de prêts et bourses de l’État. S’ils veulent le faire, ces migrants doivent payer les mêmes frais exorbitants que les étudiants étrangers.
Souvent, certains vont prendre des cours de préposés aux bénéficiaires dans des institutions privées, dont les formations ne sont pas reconnues par l’État. Souvent ces personnes doivent se contenter de boulots offerts par des Résidences pour personnes âgées (RPA) privées, à 9 dollars de l’heure au lieu de plus de 23 $, le tarif actuellement en vigueur dans le réseau public.
Durant la pandémie, des demandeurs d’asile avaient largement contribué dans les Centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) et des RPA, sauvant des vies. Leur apport leur avait valu l’appellation d’« ange-gardien ». Le gouvernement du Québec a donc créé ce programme restreint de régularisation de leur statut en signe de reconnaissance.