Une infirmière aguerrie dans le système de santé, Sophanie Pierre François, un designer graphique numérique, Édouard Maldo, un futur ingénieur logiciel de l’École de technologie supérieure (ETS), Laurent Manchou, et un conseiller municipal à Montréal-Nord, Philippe Thermidor, figurent parmi les premiers boursiers du Fonds 1804.

Ce dernier, ayant vécu le tremblement de terre en Haïti, a été élu lors des élections de 2021, seulement 10 ans après son arrivée au Canada. Le traumatisme du séisme était encore vif dans sa mémoire, ainsi que ses difficultés d’intégration. Depuis 10 ans, 1 438 Québécois, principalement issus des communautés noire et latine, ont reçu une bourse d’une valeur allant de 250 à 1 000 dollars pour récompenser leurs efforts scolaires.

Au total, cette initiative, empreinte d’universalité et portée par la communauté noire, a permis d’amasser un demi-million de dollars depuis une dizaine d’années. Parmi les donateurs, on retrouve autant des personnes fortunées que des petites bourses, comme une ancienne « restavek » (en Haïti, une mineure travaillant comme domestique).

Une donatrice illettrée

Lors des « Grandes Conversations » avec la communauté, un évènement organisé par le Fonds, le président Édouard Staco a livré un témoignage pognant sur la contribution qui l’a le plus marqué dans l’histoire de l’organisme : celle de la « restavek ».

À la suite de sa participation à une émission à la radio haïtienne, CPAM, une dame de Montréal-Nord l’appelle et l’implore de venir chercher, chez elle, un don entre ses mains. À son arrivée, elle lui remet un sac rempli de pièces monnaies.

Le président du Fonds 1804, Édouard Staco. Photo Jean Numa Goudou
Le président du Fonds 1804, Édouard Staco. Photo Jean Numa Goudou

«Elle m’a dit: je ne sais pas combien il y a dedans, je ne l’ai pas compté , car je n’ai pas été à l’école longtemps». «Lorsque j’ai compté, il y avait 238 dollars en pièces qui venaient de son petit cochon», révèle M. Staco avec un peu de sanglots dans la voix et sous les applaudissements chauds de dizaines d’enseignants, boursiers, donateurs et parents venus assister à la rencontre.

Les bourses sont généralement remises lors d’un gala. Le premier n’en comptait que 19 pour une valeur totale de 10 000 dollars. Aujourd’hui, le Fonds accorde en moyenne 140 prix à des jeunes pour leurs efforts à l’école.

En plus du gala annuel, l’organisme a créé une Académie de Leadership au nom de Nelson Mandela et du révolutionnaire haïtien Toussaint Louverture (ALM). Ce programme vise à développer le leadership des jeunes de 3e, 4e et 5e secondaire résidant dans le Grand Montréal, à travers une démarche entrepreneuriale.

Plan de pérennisation

«Le Fonds doit aller au-delà des fondateurs», indique son président, Édouard Staco. En ce sens, il a annoncé le lancement d’une campagne de financement qui vise à amasser un million de dollars d’ici un an. Le but, dit-il, est de transférer le Fonds à toute la communauté, tout en «simplifiant le travail des successeurs».

L’argent serait investi, et les dividendes devraient permettre de continuer à remettre des bourses sans dépendre uniquement des dons. Des jeunes employés diversifiés de la Caisse de dépôt collaborent avec l’organisme dans le cadre du programme Impact 20-35 pour élaborer un plan stratégique. La Caisse est déjà partenaire du Fonds via l’Académie de leadership Nelson Mandela.

Édouard Staco, le député Frantz Benjamin et le conseiller municipal de Montréal-Nord Philippe Thermidor.
Édouard Staco, le député Frantz Benjamin et le conseiller municipal de Montréal-Nord Philippe Thermidor.

Toujours l’occasion de son 10e anniversaire, l’organisme, en collaboration avec la professeure Marie McAndrew, a créé une bourse destinée aux jeunes désireux de devenir enseignants. Les candidats ont jusqu’au 1er mars prochain pour postuler via l’Université de Montréal (UdeM).

La bourse de 3 000 dollars est financée à parts égales par le Fonds et la professeure McAndrew, chercheuse renommée en éducation au sein des communautés immigrantes.

Sur les traces des boursiers

La plupart des premiers boursiers travaillent comme bénévoles au Fonds et le considèrent comme un juste retour. « Je veux aider ceux qui m’ont aidé dans la vie », indique Édouard Maldo. Arrivé des Philippines en 2010, le jeune homme a été confronté à d’énormes défis d’intégration, notamment avec la langue française.

« Cela m’a pris des années pour apprendre le français. Pour moi, c’était une grande aventure », nous confie aujourd’hui le jeune Montréalais en bon français. Une bourse du Fonds l’a mis en confiance et lui a fait comprendre qu’il pouvait aller plus loin. En plus de ses talents de graphiste et designer web, Édouard Maldo poursuit actuellement des études supérieures en administration à l’Université Concordia.

De son côté, Laurent Manchou, arrivé au Québec un mois après le tremblement de terre de 2010 en Haïti, ne connaissait pas du tout le français, à l’instar d’Édouard Maldo. Laurent avait 10 ans à l’époque. « En plus de ce que j’ai vécu, la langue constituait une de mes barrières, ce qui m’a retardé d’un an à l’école », explique-t-il. Il est l’un des tout premiers boursiers du Fonds et le plus ancien bénévole, toujours actif dans toutes les activités de l’organisme. La bourse qu’il a reçue l’a propulsé. Aujourd’hui, il est étudiant finissant en génie logiciel à l’ETS (École de technologie supérieure), aspirant à devenir ingénieur informatique. La programmation, le développement web et d’applications sont désormais devenus son langage de prédilection.

Sophanie Pierre François, aujourd’hui infirmière au CLSC de Montréal-Nord, ne maitrisait pas vraiment le terme « persévérant » lorsqu’elle est arrivée d’Haïti au Québec en 2008, un an avant Laurent. Pourtant, elle incarnait véritablement cette qualité. Sa directrice d’école à Pierre Marquette lui a fait prendre conscience de cela. Roxane l’informe du même souffle qu’elle l’avait inscrite au Fonds 1804, un organisme qu’elle ne connaissait pas du tout. Cette découverte a été le point de départ d’une nouvelle trajectoire pour son avenir.

Jean Numa Goudou, Canadien d'origine haïtienne, possède plus de 25 ans d'expérience en journalisme. Ayant commencé sa carrière à Radio-Métropole à Port-au-Prince, il a ensuite immigré au Canada,...