Samedi 30 mars, c’est jour de marché. Des centaines de personnes se sont déplacées jusqu’à cet hôtel de l’ouest de l’île de Montréal bordant la Transcanadienne, espérant trouver une nouvelle robe ou encore des livres en langue arabe. Entre le piaillement des enfants, les bijoux clinquants et les retrouvailles entre amis, l’ambiance est à la fête – ou presque.

À l’approche de l’Aïd al-Fitr, prévus entre le 9 et le 10 avril, les musulmans de la ville ont été invités à se rendre dans ce marché éphémère pour acheter les cadeaux et nouveaux habits arborés traditionnellement durant le jour de célébration, marquant la fin de Ramadan et la rupture du jeûne, caractéristique du mois saint.

Mais cette année, rien n’est exactement comme d’habitude. Pour de nombreux musulmans parmi les 1,8 million déclarés au Canada, selon le recensement de 2021, les pensées et les prières sont tournées vers la bande de Gaza, dévastée par l’armée israélienne depuis près de six mois. Le dernier bilan s’élève à environ 32 705 morts et 75 190 blessés. L’offensive israélienne faisait suite à l’attaque du Hamas en territoire israélien, lors de laquelle près de 1 200 personnes avaient été tuées et 250 autres prises en otage.

Derrière la solidarité

Les profits de l’événement iront aux divers programmes de l’International Development Relief Foundation (IDRF) à Gaza : agriculture, approvisionnement en eau, éducation et traumatologie…

Des projets notamment rendus possibles par les dons des croyants qui, pendant le mois de Ramadan, sont invités à la charité (sadaqah) ainsi qu’à payer la zakat, aumône versée annuellement par les musulmans qui en ont les moyens, en solidarité avec les plus pauvres.

« C’est vraiment la saison haute pour les organismes de bienfaisance musulmans », confirme Rania Lawendy, PDG de Action for Humanity Canada. Si l’organisation qu’elle dirige mène des campagnes de financement pour les douze pays dans lesquels elle travaille, elle reconnaît un engouement certain autour de Gaza. « Au sein de la communauté musulmane, il existe un haut niveau d’empathie et de solidarité », dit-elle.

Une sensibilité particulière, qui s’explique par des liens historiques, politiques, culturels, mais aussi religieux : « la Palestine est considérée comme une terre sainte », poursuit Rania Lawendy, rappelant que le troisième lieu saint de l’Islam, la mosquée al-Asqa, se trouve à Jérusalem.

Particulièrement émue lorsqu’elle raconte sa dernière visite à al-Aqsa et relate les scènes de morts et de destruction se succédant, quotidiennement, sur les 360 km2 de la bande de Gaza, la PDG nuance tout de même : « Nous ne pouvons oublier les autres populations défavorisées et vulnérables », citant notamment la situation au Yémen et en Syrie.

Dépasser les objectifs

« Parce que nous étions déjà présents à Gaza, nous avons pu agir rapidement », se réjouit Rania Lawendy, dont l’organisme est enregistré au Canada depuis 2021, et a débuté ses activités à Gaza une décennie plus tôt. Elle rappelle par ailleurs que l’acheminement d’aide humanitaire est limité par les autorités israéliennes et que 205 tonnes de denrées fournies par Action for Humanity étaient, au moment de sa rencontre avec le Média des Nouveaux Canadiens, en attente de traverser la frontière entre l’Égypte et Rafah, au sud de la bande de Gaza.

D’ici à la fin du mois de ramadan, la branche canadienne de l’organisation espère amasser entre 2 et 2,5 millions de dollars pour ses programmes à Gaza – une somme bien supérieure à leur objectif initial de 1,5 million de dollars.

Pour l’Aïd al-Fitr, une campagne de financement sera mise en branle pour financer des appareils auditifs aux enfants malentendants de Gaza. « Dans les zones de conflits, beaucoup d’enfants développent des problèmes auditifs », explique Rania Lawendy, un phénomène dû aux frappes aériennes. L’an dernier, ce sont 800 enfants du nord-est de la Syrie qui ont pu bénéficier des fruits de cette campagne.

Faire communauté

Sur la rue Saint-Denis, à Montréal, c’est au tour du restaurant pakistanais Mama Khan d’accueillir les musulmans pour briser le jeûne tout en récoltant des fonds pour Gaza. En collaboration avec l’antenne montréalaise Islamic Relief Canada, trois événements-bénéfice ont été organisés depuis le début de ramadan.

En partageant l’iftar, le repas de rupture du jeûne, et grâce à la vente aux enchères, près de 17 000 dollars ont été récoltés. Un kebab a notamment été vendu pour 4 000 dollars, faisant dire à Abdul Raziq Khan, propriétaire du restaurant, que « de l’air dans une bouteille » se serait vendu au même prix.

« Il est très important d’être là pour nos frères et sœurs de Palestine », soutient-il, ajoutant qu’en islam, la religion lie les mêmes celles et ceux ne partageant pas le même sang, et qu’« il est fondamental de prendre soin de son voisin ». Et même si Gaza et sa réalité mortifère semblent bien loin de son restaurant du Plateau Mont-Royal, Abdul Raziq Khan affirme avoir l’impression de « sentir les [s]iens mourir ».

L’organisme Islamic Relief Canada s’est aussi associé avec le National Coucil for Canadian Muslims et la National Zakat Foundation dans le cadre d’une campagne de don pour aider les ressortissants canadiens à évacuer la bande de Gaza.

Si le mois de ramadan s’achève, l’offensive israélienne, elle, ne semble pas tirer à sa fin. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a voté pour « un cessez-le-feu immédiat » à Gaza, le 25 mars dernier, en vain.

Adèle Surprenant est journaliste indépendante. Elle a travaillé en Amérique du Nord, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Europe, et s’intéresse aux questions liées à la migration, au genre,...