Un nombre croissant de femmes réfugiées sont poussées dans un système d'hébergement mal adapté et parfois dangereux, conçu principalement pour les sans-abri chroniques. (Photo via Canva)
Un nombre croissant de femmes réfugiées sont poussées dans un système d'hébergement mal adapté et parfois dangereux, conçu principalement pour les sans-abri chroniques. (Photo via Canva)

Texte écrit en collaboration avec Sheena Shirani.

Il a été produit dans le cadre du programme Journalisme Inclusif proposé par New Canadian Media et le Seneca Polytechnical Institut.

Un cocktail explosif formé de la crise du logement qui s’aggrave et de la hausse fulgurante des taux d’immigration pousse un nombre grandissant de femmes réfugiées vers un réseau de refuges mal adapté et parfois dangereux, initialement conçu pour les sans-abri chroniques, selon des défenseurs des droits des immigrants.

Cet environnement souvent chaotique ne fait qu’empirer les défis considérables auxquels ces femmes sont confrontées, notamment la violence conjugale, les difficultés d’obtenir du soutien nécessaire pour les documents juridiques et l’accès aux ressources pour trouver un gagne-pain.

L’expérience de 9 mois de Mwajuma dans le réseau d’hébergement

Mwajuma, une réfugiée tanzanienne de 33 ans juriste de formation et survivante de mutilations génitales féminines (MGF), est arrivée au Canada dans l’espoir de vivre sa vie de lesbienne librement, mais a rencontré des défis inattendus en cherchant refuge en terre étrangère.

« Le premier jour où je suis arrivée au refuge, j’étais complètement perdue. J’ai vu des toxicomanes et des personnes atteintes de maladies mentales à l’extérieur. Je me suis même demandée si j’étais au bon endroit », se rappelle Mwajuma, l’amenant à contacter Central Intake, l’organisme qui s’occupe des placements en refuge à Toronto.

Mwajuma a constamment été préoccupée par l’exiguïté des chambres, le manque de ventilation et l’insuffisance d’espace personnel, aggravés par la nécessité de partager un logement avec jusqu’à quatre autres personnes. Elle parle de sa détresse face aux changements fréquents de colocataires.

« Une personne souffrant de maladie mentale est venue dans ma chambre à minuit, et l’atmosphère a changé. J’ai dû éternuer toute la nuit parce qu’il n’y avait pas d’air qui circulait. Et cette femme avait une odeur corporelle intense. Elle ne se lavait pas et on ne lui avait pas demandé de le faire », déplore Mwajuma.

Soulignant le traitement disparate entre les réfugiés et les Canadiens, elle note que les réfugiés africains doivent se soumettre à des protocoles d’hygiène stricts à leur arrivée, notamment laver tous leurs vêtements et prendre une douche, alors que les Canadiens n’ont pas de telles obligations.

« On nous dit qu’on apporte des maladies d’Afrique », a dénoncé Mwajuma.

Elle a aussi fait part de difficultés rencontrées avec le personnel du refuge, mentionnant « des regards froids et un langage corporel négatif. On a peur de leur demander quelque chose, surtout à la réception. Les autres peuvent aussi être impolis, mais ce n’est pas le plus important. À la réception, on dirait qu’il faut les supplier pour obtenir un service ».

Mwajuma souligne que les réfugiés dans les refuges ratent souvent des occasions qui leur sont destinées parce que les agents d’immigration ne reconnaissent pas leur statut. Elle insiste sur le fait que cet oubli se produit parce qu’ils résident dans un refuge pour sans-abri qui dessert toutes les catégories de sans-abri, et pas spécifiquement les réfugiés.

« Notre conseiller a dû contacter l’immigration et demander des permis de travail pour nous aussi. Ils ne savaient pas qu’on existait », dit-elle.

Elle soulgne aussi les différences culturelles entre les résidents, telles que le malaise de se déshabiller devant les autres et d’utiliser des toilettes publiques, compte tenu notamment de la présence de toxicomanes.

« Certains résidents sont à l’aise de se déshabiller complètement devant une autre personne. L’autre personne se demande pourquoi elle se déshabille ici? », ajoute t-elle.

Pendant le Ramadan, le mois sacré de jeûne pour les musulmans, Mwajuma n’a pas bénéficié de soutien particulier. Si elle avait de la nourriture pour le souhour, le repas d’avant l’aube avant de commencer son jeûne, elle n’avait pas d’iftar, le repas du soir pour rompre son jeûne. À la place, elle devait boire de l’eau chaude.

Malgré les défis, Mwajuma garde espoir en avenir meilleur et milite pour la mise en place de refuges dédiés aux réfugiés, où leurs besoins spécifiques et leurs différences culturelles seraient pris en compte.

« Il devrait y avoir des refuges spécialement pour les réfugiés, où nos besoins sont compris. Tout le monde devrait avoir de l’intimité », affirme t-elle.

Un marché locatif extrêmement difficile

Prentiss Dantzler, professeur adjoint de sociologie à l’Université de Toronto, parle des défis auxquels sont confrontés ceux qui font face au marché locatif, notant que les facteurs de vulnérabilité incluent le fait d’être un nouvel arrivant, un ménage à revenu unique, une minorité et une femme.

Par conséquent, les femmes de couleur nouvellement arrivées avec des personnes à charge ont certains des obstacles les plus difficiles à franchir pour naviguer sur le marché du logement.

« La location d’espaces est vraiment folle. C’est beaucoup plus difficile pour les nouveaux arrivants d’accéder au marché locatif », explique Dantzler, soulignant les obstacles que ces femmes rencontrent. « Vous aurez généralement besoin de faire approuver tous vos documents avant même de pouvoir visiter un logement ».

Il ajoute que les exigences rigoureuses imposées aux locataires, notamment la vérification des revenus, les antécédents et les vérifications de crédit, ainsi que la collaboration avec des agents immobiliers, qui nécessitent tous un temps et un argent considérables, peuvent submerger n’importe quel individu, et encore plus les femmes réfugiées.

En conséquence, de nombreuses femmes réfugiées se tournent vers le système d’hébergement.

Préoccupations concernant le financement et les conditions

Alors que le gouvernement fédéral a récemment annoncé un nouveau financement pour les refuges à travers le pays, Arthur Durieux, directeur du refuge Le Pont à Montréal pour les demandeurs d’asile, s’inquiète de la façon dot les fonds sont utilisés.

« Si cela s’accompagne de conditions strictes ou inhumaines, je ne les accepterai pas », déclare monsieur Durieux.

Il ajoute que les exigences de financement signifiaient souvent qu’ils devaient expulser les gens des refuges dès que possible, ce qui ne reflète pas l’expérience vécue par les personnes avec lesquelles son refuge travaille. Le Pont se spécialise dans les besoins des femmes vulnérables, des mères monoparentales et des familles réfugiées.

« Deux semaines pour obtenir l’aide sociale, obtenir les papiers, guérir leur traumatisme et tout ce qu’elles ont vécu, trouver un appartement, apprendre le français et et tutti quanti – ce n’est pas réaliste »

Arthur Durieux explique que certaines femmes arrivent enceintes, il n’est donc pas pratique de les faire rester seulement quelques semaines alors qu’elles ont besoin de soins spécialisés. Souvent, il permet aux femmes de déterminer elle-même la durée de leur séjour.

Stratégies d’expansion et de soutien

Siu Mee Cheng, directrice générale du refuge pour femmes Street Haven à Toronto, déclare de son côté que les femmes réfugiées constituent auparavant environ 30 % de sa clientèle annuelle. Mais au cours de la dernière année et demie, elles représentent environ 80 % des clientes.

« Depuis juin de l’année dernière, nous avons accueilli plus de 600 femmes à notre porte. Et c’est en fait plus de femmes que nous n’en avons jamais accueillies en un an », révéle madame Cheng.

Ces dernières années, la ville de Toronto a connu une augmentation fulgurante du nombre de demandeurs d’asile en quête de refuge, avec des chiffres grimpant de 440 % entre septembre 2021 et mai 2023, passant de 537 à 2 900 individus.

Bien que des données ventilées par sexe ne soient pas fournies, les statistiques d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) révèlent qu’en 2019 et les années récentes, environ 47 % des réfugiés réinstallés étaient des femmes, contre 53 % d’hommes.

Siu Mee Cheng souligne que les femmes réfugiées, bien que souvent très motivées et désireuses d’indépendance par rapport aux sans-abri chroniques, se retrouvent obligées de rester dans les refuges pendant de longues périodes en raison de la crise du logement en cours.

Elle ajoute que Street Haven a des plans d’expansion pour répondre à ces tendances persistantes. Des requêtes ont été envoyées à la Ville de Toronto pour demander un financement supplémentaire afin d’améliorer leurs services de logement pour répondre aux besoins des femmes, reconnaissant la dure réalité de la situation.

« Nous ne pouvons pas nous débarrasser des refuges, ce n’est tout simplement pas rationnel compte tenu de l’afflux de réfugiés et nous avons également observé une augmentation exponentielle des schémas de migration et nous ne pouvons donc pas ne pas avoir de refuges », affirme-t-elle.

Madame Cheng dit avoir vu de nombreuses femmes réfugiées construire des vies réussies et épanouissantes au Canada, à condition qu’elles reçoivent le soutien nécessaire pour le faire.

« Le minute où elles arrivent et atterrissent à Toronto et descendent de leur avion, elles devraient être accueillies par un centre d’accueil qui les met en contact immédiatement avec un soutien juridique et de santé », conclu-t-elle.

Texte initialement publié en anglais. Traduction de Pierre Michaud.

Hue Pham est une journaliste indépendante, actuellement inscrite au programme de Maîtrise en Journalisme à l'Université Harvard. Elle est diplômée du programme de Baccalauréat en Sciences Politiques...