«J’ai appris la nouvelle sur les réseaux sociaux», se remémore Tolga Imamoğlu, 42 ans. 

De Victoria, en Colombie-Britannique, où il a emménagé avec son épouse en 2016, il apprend les informations au compte-gouttes sur internet, en même temps que le reste du monde. Bien qu’il ait grandi à Istanbul, la famille de sa mère est originaire d’Antakya, dans la province du Hatay, non loin de l’épicentre des séismes, dont le bilan s’élève aujourd’hui à plus de 50 000 morts, des dizaines de milliers de disparus, des millions de déplacés et des destructions matérielles de grande ampleur.

Scotché à son téléphone, il tente de rejoindre ses proches, en vain. Les réseaux de télécommunications ont été entièrement coupés. «Je ne voulais savoir qu’une chose», se souvient Tolga, «sont-ils vivants ?»

Attente et soulagement

Le lendemain du drame, des connaissances de sa famille sont envoyées d’une ville avoisinante vers Antakya, dans l’espoir de clarifier la situation. Elles constatent que l’immeuble dans lequel vit la tante de Tolga s’est effondré. 

Il faut attendre le 8 février pour qu’un appel soulage enfin la famille, éclatée entre Victoria et Istanbul : la tante de Tolga est vivante, elle a été transportée dans un hôpital de Reyhanlı, saine et sauve. «Nous étions si heureux», dit-il avec la voix pleine d’émotion, près de trois mois après les événements

Tous les transports sont à l’arrêt, alors «ma mère et mon frère ont sauté dans la voiture, sont descendus chercher ma tante et l’ont ramené à Istanbul», raconte Tolga. Après des jours d’attente et d’anxiété, le soulagement. «J’attendais un appel de ma mère pour me confirmer qu’elle avait bel et bien ma tante, qu’elle était bel et bien vivante. Au même moment, mon petit garçon est né.» 

«C’était une journée magique pour moi», confie le nouveau père.

Impuissance 

Même si Tolga et sa femme, en préparation de la naissance, restent seuls chez eux dans les jours qui suivent la catastrophe, celui-ci affirme s’être «totalement senti supporté.» Par ses amis et collègues canadiens, mais aussi par la communauté turque. 

«Tous mes amis turcs, même s’ils ne sont pas originaires d’Hatay, ont ressenti la même chose que moi», dit-il, rappelant que le tremblement de terre qui eut lieu à Izmit, en 1999, a marqué les mémoires de tous. 

Désormais citoyen canadien, il décrit un sentiment d’impuissance, en étant si loin de son pays d’origine. Puis il nuance : «tout le monde à Istanbul [à plus de 1 000 kilomètres d’Antakya] avait les mains aussi liées que moi.»

Sina Kutluay, 62 ans, relate également s’être senti supporté dans cette épreuve par « le peuple canadien et les autres communautés [vivant au Canada].» Il déplore par ailleurs l’aide humanitaire annoncée par le gouvernement fédéral : «à mon avis, 10 millions de dollars c’est très peu, pour un pays comme le Canada», affirme-t-il, en comparaison avec la Grèce et l’Arménie, qui malgré des relations conflictuelles historiques avec la Turquie ont été, selon lui, proportionnellement d’une plus grande assistance.

Mobilisation

La diaspora turque et ses nombreuses organisations au pays n’ont pas attendu les autorités pour se mobiliser et venir en aide aux victimes. 

Fondée en 1963 dans le but de promouvoir l’art et la culture turque, la Turkish Canadian Society (TCS), est l’une d’entre elles. 

Son secrétaire exécutif, Sina Kutluay fait le récit de jours bien remplis : dès le 7 février, la TCS multiplie les envois de courriels aux représentants des autorités canadiennes et turques afin de réclamer leur support, mais met également en branle une campagne de financement et de récolte de dons d’objets de première nécessité, à envoyer dans les régions touchées par les séismes. 

«Notre ambassade a arrangé l’envoi des biens en Turquie via Turkish Airlines », explique-t-il, ajoutant que «la campagne a eu tant de succès qu’ils n’ont pas pu tout transporter, et que nous avons dû organiser l’envoi par bateau de dix conteneurs.» L’argent et les biens récoltés ont été acheminés à des organisations gouvernementales, à des ONG, mais aussi directement aux victimes proches de membres de la communauté turque du Canada. 

La TCS a aussi apporté une aide financière et logistique à des étudiants internationaux dont les familles ont perdu leur maison et/ou leur source de revenus dans les tremblements de terre, «afin qu’ils puissent rester au Canada», où une hausse de 62% du nombre d’étudiants turcs a été enregistrée entre 2015 et 2020, d’après les chiffres du Gouvernement du Canada.

«Ce n’est pas fini» 

En parallèle, une pétition a été déposée au parlement, réclamant la simplification des démarches migratoires pour les ressortissants turcs, kurdes et syriens des régions concernées par le séisme. 

Mi-mars, le ministère de l’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté annonçaitCitoyenneté, annonçait par ailleurs des mesures visant à faciliter la prolongation du statut temporaire pour les citoyens turcs et syriens déjà au Canada.

Pour Sina Kutluay, les efforts sont loin d’être terminésterminé : «il y a encore des gens dans le besoin», insiste-t-il. Il relève notamment l’impact psychologique qu’ont eu les évènements sur la diaspora, qui ont ravivé pour beaucoup le traumatisme du séisme de 1999. 

Mais ce n’est pas tout. «Nous avons réalisé que nous vivons aussi dans une zone sismique», témoigne ce résident de la Colombie-Britannique depuis 2017, en référence à la zone de subduction de Cascadia. 

Après les séismes de février en Turquie, avec d’autres membres de la communauté, il a mis sur pied l’équipe de la Technical Urban Search and Rescue (TUSAR), afin de pouvoir réagirrégir en cas de catastrophe, explique Sina Kutluay. 

«Nous voulons sensibiliser les gens sur le fait que ça peut arriver ici aussi.»

Adèle Surprenant est journaliste indépendante. Elle a travaillé en Amérique du Nord, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Europe, et s’intéresse aux questions liées à la migration, au genre,...