Les Canadiens seront plus cosmopolites, plus divers et plus nombreux, notamment avec davantage de Noirs que d’Autochtones, selon les prévisions du Centre de démographie de Statistiques Canada pour 2041. Si les tendances actuelles se poursuivent, la moitié de la population canadienne sera composée d’immigrants et de leurs enfants nés au Canada d’ici 25 ans, pour atteindre 47,7 millions de personnes, dont 25 millions d’immigrants ou des enfants d’immigrants nés au Canada. Ils représenteraient 52,4 % de l’ensemble de la population.

Et pour le président et directeur général de l’Association d’études canadiennes (AEC), Jack Jewwab, qui a fait une analyse de ces données, cette cible pourrait être atteinte bien plus tôt que prévu, en raison d’une augmentation considérable des niveaux d’immigration et de la probabilité d’une augmentation continue à l’avenir.

« Alors que nous maintenons nos engagements en matière de réunification des familles et que nous respectons d’autres obligations, les personnes qui ont réalisé les projections démographiques n’ont pas pris en compte les niveaux d’immigration prévus par le ministre de l’Immigration », dit-il en entrevue avec Le Média des Nouveaux Canadiens (MNC).

Le Plan des niveaux d’immigration pour 2023-2025 du gouvernement fédéral prévoyait recevoir, pour 2023, 465 000 nouveaux résidents permanents. Ce nombre passerait à 485 000 en 2024 et à 500 000 en 2025. Or, en 2023, le pays a dépassé les 500 000 nouveaux résidents permanents.

Depuis une trentaine d’années, souligne M. Jewwab, il y a eu des augmentations graduelles du niveau d’immigration. Mais, il attribue la récente hausse à une très forte « demande de travailleurs par les leaders d’industrie au Canada face à la diminution de l’offre de travailleurs en raison du vieillissement rapide de la population ». « La demande de travailleurs semble augmenter de manière exponentielle », observe Jack Jewwab.

Questionné sur le fort taux de natalité chez les immigrants qui pourrait contribuer également à atteindre les projections plus tôt que prévu, l’analyste de l’AEC ne nie pas la probabilité, tout en évoquant des conditions.

« Peut-être… », indique M. Jewwab, « mais cela dépendra en grande partie de l’adaptation au contexte canadien des nouveaux arrivants et, en particulier, des choix que feront en fin de compte ceux qui viennent de régions du monde où les taux de natalité sont traditionnellement plus élevés ». Il invite à prendre en compte également les défis économiques et sociaux qui se présenteront devant ces immigrants.

Climat et immigration

« L’immigration restera le principal moteur de la croissance démographique du Canada dans les prochaines décennies, poursuivant une tendance amorcée au début des années 1990 », estime Statistiques Canada dans un rapport sur la question, publié en août 2023.

« Cela dépendra de l’attractivité du Canada. Un nouveau gouvernement ou même le contexte international pourraient changer la donne », affirme Frédéric Boisrond, sociologue d’origine haïtienne, dans une entrevue avec MNC.

Jean-Claude Icart, ancien professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et aujourd’hui à la retraite, apporte une perspective originale sur la question de l’immigration. Il souligne qu’en plus d’être sous-peuplé, le territoire canadien évolue rapidement. « Des espaces longtemps occupés par la glace deviennent exploitables, mais aussi habitables », remarque-t-il. D’où la « nécessité » de favoriser une augmentation de l’immigration pour occuper ces territoires et contrer le vieillissement de la population.

« Il n’y a pas d’autre choix que l’immigration ou la natalité pour pallier le sous-peuplement d’un territoire qui s’agrandit en raison des changements climatiques », affirme le professeur Icart.

Plus de Noirs que d’Autochtones

Dans 25 ans, la population canadienne serait composée de 9,9 à 13,9 millions de personnes nées en Asie ou en Afrique. À elles seules, ces personnes pourraient donc représenter entre 23,1 % et 26,9 % de la population canadienne totale de 2041, en hausse par rapport aux 13,5 % en 2016:

  • Un Canadien sur quatre serait né en Asie ou en Afrique.
  • Environ deux Canadiens sur cinq feraient partie d’un groupe racisé.
Des demandeurs d’asile assistent à une séance d’information. Photo: Jean-Numa Goudou

Fait important à souligner, d’ici 2041, la population noire dépasserait celle des Chinois. Cette catégorie de la population canadienne augmenterait significativement, passant de 1,2 million de personnes en 2016 à plus de 3 millions en 2041 selon le scénario de référence. Pour la première fois, les Noirs seraient même plus nombreux que la population autochtone au Canada.

« La question à se poser : qu’adviendra-t-il à ce moment-là ? Comment la société réagira-t-elle à ces données ? », se demande le sociologue Frédéric Boisrond.

Les immigrants continueraient à être concentrés dans de grandes villes comme Toronto, Vancouver et Montréal. Si les Asiatiques sont principalement dans les grandes villes anglophones du Canada, à Montréal, le principal groupe racisé resterait celui de la population noire, dont le nombre doublerait, passant de 276 000 personnes en 2016 à 673 000 d’ici 2041.

Les Arabes resteraient le deuxième groupe en importance à Montréal, passant de 194 000 personnes en 2016 à 496 000 selon le scénario de référence.

Statistiques Canada note toutefois un contraste dans la répartition des immigrants par territoire. La proportion de la population racisée serait inférieure à la moyenne nationale dans l’est du pays, au Québec, dans la majorité des petites villes ontariennes et des autres provinces, ainsi que dans les régions rurales partout au Canada.

L’immigration, moins populaire

Ce contraste évident entre les régions urbaines et rurales crée des pressions sur le marché de l’habitation, le développement d’infrastructures urbaines et la perte démographique des régions rurales.

Le portrait de la population immigrante a beaucoup évolué au cours des 25 dernières années, notamment en raison des changements dans la provenance géographique des immigrants.

En novembre 2022, lors de l’annonce de son plan d’immigration, le gouvernement fédéral affirmait que les Canadiens étaient assez ouverts à l’augmentation de l’immigration. Cependant, une méfiance grandissante se fait sentir au Canada, une tendance observée aussi dans plusieurs pays occidentaux. En effet, le point de vue des Canadiens sur l’augmentation de l’immigration semble évoluer vers un territoire négatif. C’est ce que révèle un sondage réalisé par Léger pour l’Association d’études canadiennes (AEC) du 25 au 29 septembre 2023 par le biais d’un panel en ligne. À la question : «Pensez-vous qu’il y a trop, trop peu ou le bon nombre d’immigrants qui viennent au Canada? », la moitié des personnes interrogées ont affirmé qu’il y a trop d’immigrants.

Jean Numa Goudou, Canadien d'origine haïtienne, possède plus de 25 ans d'expérience en journalisme. Ayant commencé sa carrière à Radio-Métropole à Port-au-Prince, il a ensuite immigré au Canada,...