Alors qu’elle vivait à l’étranger pour son travail, Emma Kenyon a voulu demander la citoyenneté canadienne pour son enfant. On lui a cependant dit qu’elle devait revenir au pays et accoucher dans un hôpital canadien.

Mme Kenyon raconte que cette suggestion lui a été faite par les autorités en 2020, au moment où les voyages étaient suspendus par la pandémie. Au-delà d’une perte salariale, ce retour au pays impliquait des risques pour sa grossesse.

Comme le couple a grandi au Canada, il souhaite que leur futur enfant et leur famille aient accès à la citoyenneté canadienne. Jusqu’à maintenant, une série de complications bureaucratiques freinent leurs efforts en ce sens. 

Le CPCI a voté le lundi 17 avril dernier en faveur de l’élargissement du champ d’application d’une nouvelle modification de la Loi sur la citoyenneté, visant à rendre leur citoyenneté à certaines personnes nées à l’étranger. 

Dans sa forme actuelle, le projet de loi S-245 –- présenté par la sénatrice conservatrice Yonah Martin en mai 2022 –- ne rend la citoyenneté qu’à certaines personnes, mais pas à d’autres. 

Les amendements déposés lundi par Jenny Kwan, députée du NPD, incluront également des personnes qui n’entrent pas dans le champ d’application du projet de loi, – comme c’est le cas de Mme Kenyon. Jusqu’à maintenant, le projet de loi ne permet qu’aux personnes nées à l’étranger entre le 15 février 1977 et le 16 avril 1981 de recouvrer leur citoyenneté.

Ces nouveaux amendements ont été adoptés par 64 % des membres du CPIC et les votes à leur encontre ont été émis par des membres du Parti Conservateur du Canada (PCC). Les membres du PCC opposés aux amendements proposés par Mme Kwan affirment qu’il s’agit d’une stratégie utilisée par le NPD pour faire avancer leurs propres propositions, comme le rétablissement des cérémonies de citoyenneté en personne. 

Dans un communiqué publié avant la réunion du CPIC, la députée répond qu’il s’agit plutôt d’une occasion de régler une fois pour toutes la question de celles et ceux qu’on appelle souvent “Lost Canadians” au Canada anglais. 

En conférence de presse, elle s’est exprimée à ce propos aux côtés de l’auteur Don Chapman, du directeur général du Conseil canadien pour les droits citoyens, Randall Emery, de Sujit Choudhry, avocat en droit de l’immigration, ainsi que de personnes affectées par cette situation.

L’histoire des Canadiens perdus

En 2009, le gouvernement conservateur a abrogé certaines sections d’un article de la Loi sur la citoyenneté, lesquelles révoquaient automatiquement la citoyenneté de certaines personnes au moment où elles atteignaient l’âge de 28 ans – à moins qu’elles n’en fassent à nouveau la demande.  

Lorsqu’elle est entrée en vigueur en 1977, cette règle concernant l’âge de 28 ans n’avait pas été clairement communiquée à la population concernée. En conséquence, certaines personnes appartenant en termes d’immigration à la « deuxième génération » se sont réveillées le jour de leur 28e anniversaire – ou quelques années plus tard – privées de leur citoyenneté, voire menacées d’expulsion.

L’année dernière, la cheffe adjointe de l’opposition, la sénatrice conservatrice Yonah Martin, a voulu faire avancer l’adoption du projet de loi S-245 par le Sénat, afin de rendre justice à « ce petit groupe de personnes qui ont perdu leur citoyenneté canadienne ou sont devenues apatrides en raison de [ces] changements de politique ». 

Sa proposition – c’est-à-dire la version du projet de loi qu’elle a mis de l’avant – ciblait une cohorte spécifique de personnes qui avaient déjà atteint l’âge de 28 ans avant la révocation de la règle et qui sont nées dans une fenêtre de 50 mois. 

Le 17 avril, Mme Kwan et le panel d’intervention avec lequel elle a pris la parole ont mis en lumière le fait que le champ d’application du projet de loi demeurait bien trop étroit. Les amendements du NPD incluraient d’autres catégories de personnes, notamment celles qui pourraient donner naissance à leur enfant à l’étranger – comme cela pouvait être le cas pour Mme Kenyon. 

Expert à ce sujet, M. Chapman a soutenu en conférence de presse que les articles permettant de priver autant de personnes de leur citoyenneté proviennent d’un ancien modèle législatif.  L’auteur soulève que ce modèle existait à l’intention de colonies britanniques et reposait sur des critères identitaires définis à une autre époque par le Royaume-Uni.

« Le Canada est le dernier pays à défendre ces lois », dit M. Chapman. 

À l’origine du groupe Lost Canadians, Don Chapman a lui-même dû livrer un combat juridique afin de récupérer sa citoyenneté. C’est grâce à son travail que l’expression s’est popularisée. 

La bataille juridique entreprise par le groupe qu’il a mis en place a permis de mettre en lumière et d’adresser ces enjeux devant les tribunaux. La loi S-245 marque un pas décisif dans ce combat qui concerne des dizaines de milliers de personnes, comme l’indique le site de Lost Canadians. 

Jusqu’à l’établissement d’une citoyenneté proprement canadienne, les personnes nées au Canada étaient considérées comme Britanniques. Depuis, il s’agit souvent de groupes paupérisés qui ont été négligés par les registres officiels. Comme en atteste l’oubli dans lequel ont péri des milliers d’enfants des pensionnats autochtones, l’enjeu comporte un sens particulier pour les Premières Nations. 

Cet article est une traduction de l’article original de Kaitlyn Smith.

Keitlyn (they/them) is a multi-media journalist residing in Scarborough, Ont. They are interested in long-form journalism that highlights the visibility of BIPOC expression. True to millennial form, they...