« Au 8645 boulevard Pie-IX, à Montréal, c’est là où je suis arrivé avec mes parents dans un logement insalubre », révèle le député de Viau, Frantz Benjamin, lors du lancement de la Société d’habitation des communautés noires à la Maison D’Haïti dans Saint-Michel. Il a même décliné le code postal devant l’assistance. « Cela ne s’oublie pas », dit-il avec un peu de douleur dans la voix.
« J’aurais aimé à ce moment-là qu’il y ait un projet comme cela », ajoute le parlementaire. Un immeuble de 231 unités de logement dont la moitié sera abordable et l’autre 50 % à caractère social, au coin du boulevard Crémazie et de la rue Saint-Michel, en bordure de l’Autoroute 40. Un projet de 120 millions de dollars, sur un terrain de 6 813 m2, financé par les gouvernements fédéral et provincial.
La discrimination en logement est légion au Québec et cela ne date pas d’hier, souligne pour sa part la sénatrice d’origine haïtienne Marie-Françoise Mégie. Elle est médecin à Montréal et vit à l’époque un divorce. « Je me suis dit que je vais aller louer un logement avec les enfants en attendant que je vende ma maison. Mais c’était la pire idée que j’avais en tête », estime aujourd’hui la Dre Mégie. Par téléphone, elle prend rendez-vous pour visiter l’appartement.
« Lorsque je suis arrivée, le propriétaire me demande : c’est vous qui avez appelé ce matin ? Oui. Et bien… le logement est déjà loué, m’a-t-il dit », se souvient la sénatrice avant d’ajouter : « ça, je vous parle de 1988, pas loin dans le temps. »
Un autre politicien, Philippe Thermidor, actuellement conseiller municipal à Montréal-Nord, a aussi témoigné de ses mésaventures en matière de recherche de logement. Arrivé à Montréal, après le tremblement de terre de 2010 en Haïti avec sa mère et quatre frères et sœurs pour joindre son père, il dit que ce dernier a eu toutes les peines du monde à se trouver un appartement pour six personnes.
Le projet attend après Québec
Dans le cadre de sa mission de développer et gérer du logement abordable et social tout en favorisant l’inclusion sociale et l’égalité des chances en matière de logement, les dirigeants ont lancé ce projet majeur dans Saint-Michel, l’un des quartiers les plus pauvres au Canada.
Les appartements seront de toutes les grandeurs selon les responsables et seront munis de 2, 3 ou 4 chambres à coucher dans 76 % des cas selon le porte-parole de la SHCN, Neil Armand. De plus, l’immeuble profitera de 50 000 pieds carrés de superficie commerciale.
La SHCN dit qu’elle est prête à démarrer le projet. Plus de la moitié du financement est déjà ficelé avec le gouvernement fédéral. Toutefois, la SHCN, qui dispose de la balance hypothécaire, dit attendre après Québec pour la première pelletée.
« Les ingénieurs, les architectes, les plans sont très avancés, les études sont réalisées. À l’intérieur de 8 mois, on peut avoir les premières pelletées dans le cadre du projet », croit Neil Armand qui se dit « plus que sûr » que le gouvernement du Québec va bouger bientôt.
Le projet vise à favoriser le vivre ensemble entre les différentes communautés qui forment le tissu social de Saint-Michel. Sur chaque étage de l’immeuble, il est prévu des espaces de salon communautaire où « les gens peuvent socialiser, regarder des matchs ensemble ».
« On veut des Noirs, des Blancs, des immigrants que cela reflète le quartier », dit-il. De plus, avec l’organisme Vivre Saint-Michel en santé, il est prévu un jardin communautaire sur le toit de l’immeuble. La Société promet des logements de grande qualité à vocation sociale dans 50 % des cas, c’est-à-dire que les locataires paieront avec seulement 25 % de leurs revenus nets.
Grâce au PSL, le Programme de suppléments de loyers, les responsables comptent financer la baisse du prix. L’autre moitié, soit 115 unités de logement, seront abordables. Les locataires paieront 20 % moins cher que sur le marché locatif actuel.
Plaintes légèrement en hausse
Le nombre de plaintes logées à la Commission des droits de la personne pour discrimination et logement reste stable. Au cours de la dernière année (1er avril 2022 au 31 mars 2023), la Commission a ouvert 77 dossiers d’enquête pour discrimination dans le logement contre 75 l’année précédente.
– Neuf dossiers correspondaient au motif âge,
– 29 à la condition sociale, 5 à l’état civil, 2 à la grossesse, 12 au handicap, 1 à la langue, 1 à l’orientation sexuelle.
– 17 dossiers concernent la « race », couleur, origine ethnique ou nationale et 1 à la religion.
Chômage et logement
Selon l’Observatoire des communautés noires, la discrimination sur le marché du travail pousse les Noirs du Québec à surpeupler des logements locatifs. Par exemple, en 2016, les personnes noires avaient un taux de chômage s’élevant à 13 %, contre 6,6 % dans le reste de la population blanche. Pourtant, 23,5 % d’entre les Noirs étaient surqualifiés comparativement à 9,1 % pour ceux non issus des minorités visibles.
Selon Statistique Canada, en 2021, ils étaient trois fois plus susceptibles que les non-minorités visibles de vivre entassés comme des sardines.
Bien que la situation ait évolué au cours des 15 dernières années pour passer de 30,5 % en 2006 à 15,1 % en 2021, trop de personnes noires font toujours face à ces difficultés, constate l’Observatoire des communautés noires dans son rapport rendu public lors du Sommet. Chez les personnes non-minorités visibles, on parle de 10,6 %.
« Même si la proportion des personnes ayant un logement non abordable a diminué au fil du temps au Québec, les personnes noires restent plus susceptibles que les autres d’être concernées », fait remarquer la directrice de l’Observatoire, Bélinda Bah.
Par ailleurs, le gouvernement fédéral a affirmé, lundi dernier, avoir conclu 179 ententes de logement avec des municipalités qui contribueront à la construction de 750 000 logements au cours de la prochaine décennie.
Le ministre du Logement, Sean Fraser, a déclaré que le gouvernement fédéral avait finalisé toutes ses ententes avec les municipalités via le Fonds pour accélérer la construction de logements, qui s’élève à 4 milliards $.