L’Ensemble Acalanto, groupe de musique du courant de la Nueva Canción Chilena (Nouvelle chanson chilienne). Gracieuseté

Cette année, le Mois de l’héritage hispanique se distingue par la mise à l’honneur de l’exil chilien. Suite au coup d’État contre le gouvernement de Salvador Allende en 1973, la dictature impose un règne de terreur au Chili. L’arrivée de milliers de personnes fuyant la persécution marque le début d’une tradition solidaire et constitue un moment historique au Québec.

« Nous avons découvert des affinités culturelles et politiques, raconte Carmen Pavez, chanteuse de l’Ensemble Acalanto. Il y a un lien solidaire qui s’est mis en place à notre arrivée au Québec. »

Les événements commémoratifs se sont intégrés en octobre à l’éventail d’activités offertes dans le cadre du Mois de l’héritage hispanique à Montréal. Une programmation marquée par des conférences, de multiples prestations musicales, artistiques et littéraires, et surtout par la présentation de l’exposition Créer le pouvoir populaire à l’Écomusée du Fier Monde.

« Cette expression à propos du pouvoir populaire comportait un sens politique particulier pour le mouvement de Salvador Allende, soulève Carmen Pavez. On lui donne un sens plus global avec l’exposition. »

Héritage social

L’artiste raconte qu’à l’arrivée des exilés chiliens dans les années 1970, une connexion s’est établie avec le mouvement indépendantiste au Québec.

« Nous avons été interpellés par ce mouvement social, ce combat pour se libérer du capitalisme anglo-saxon, raconte-t-elle. Ces liens que nous avons créés nous ont permis de faire connaître la situation au Chili. »

L’artiste raconte qu’elle a poursuivi cette mission grâce à la musique.

D’ailleurs, l’Ensemble Acalanto s’inscrit dans le courant de la Nueva Canción Chilena (Nouvelle chanson chilienne). « Au lieu du folklore, nous donnons voix à la revendication politique, dit-elle. Il s’agit d’un mouvement international, auquel on peut notamment associer des artistes comme Mercedes Sosa ou Atahulapa Yupanki. »

Elle mentionne qu’au fil des années, diverses personnalités québécoises en sont venues à s’engager au Chili. « Louise Harel a été présidente d’honneur de l’événement et elle a fait un discours lors de l’inauguration de l’exposition, racontant son expérience avec le mouvement féministe », indique-t-elle. C’est aussi le cas de Sol Zanetti, député de Québec Solidaire.

Les liens artistiques jouent aussi un rôle essentiel depuis plusieurs années.

Le public montréalais a notamment eu l’occasion d’accueillir avant le début de la pandémie un spectacle de Charles Labra, du groupe Sol y Lluvia, qui compte parmi les plus emblématiques de la résistance au Chili.

Carmen Pavez soulève qu’une pièce de l’exposition constitue un hommage à un bar qui existait sur la rue Saint-Urbain dans les années 1980, le Café Esperanto.

« Nous allions à cette époque y prendre la scène ou échanger avec des camarades et nous avons investi de nouveau l’espace lors de l’exposition pour faire entendre différentes voix, dit-elle à ce propos. Quand on pense aux personnes assassinées, disparues et à celles qui sont détenues pour des raisons politiques, on se rend compte des profondes blessures existant au Chili. »

Selon les chiffres reconnus officiellement par le gouvernement chilien, il y a eu plus de 3000 personnes assassinées ou disparues durant la dictature d’Augusto Pinochet.

« C’est aussi comme une dette envers ceux qui sont restés, dit-elle. Nous considérons l’exil comme un espace de résistance. »

Mémoire d’avenir

Véritable pionnière dans l’organisation du Mois de l’héritage hispanique, Angela Sierra considère cette commémoration comme essentielle au Québec.

« Il s’agit d’une conscience partagée par beaucoup de gens au pays et dans le monde, dit-elle. Bien sûr, celle-ci comporte un sens particulier pour les communautés latino-américaines. »

En effet, elle éveille le souvenir des vagues d’exil venues d’autres pays.  

« Il nous importe de faire place à la mémoire, souligne-t-elle à propos. Il y a une grande réflexion derrière cette organisation. »

Une réflexion issue d’un travail qui se traduit par diverses initiatives.

« On se demande parfois pourquoi dédier un mois à l’héritage hispanique, mentionne-t-elle. Il s’agit d’une occasion de mettre en lumière le talent et il y a eu plus d’une soixantaine d’activités lors de cette cinquième édition. »

Également présidente et fondatrice de la Maison des Amériques, Angela Sierra constate un essor social, économique et cultuel. « Un ancrage profond s’exprime avec de nouvelles possibilités d’avenir, note-t-elle. L’héritage hispanique fait désormais partie de la signature du Québec. »

Angela Sierra, pionnière dans l’organisation du Mois de l’héritage hispanique.

Mouvements actuels

Au cours des dernières années, la situation politique a de nouveau conduit à l’exil plusieurs personnes originaires du Chili.

Le mouvement social d’envergure qui s’est mis en place en 2018 a fait l’objet d’une forte répression. Celle-ci a conduit à la mort de dizaines de personnes, de graves lésions, de la torture et l’emprisonnement pour des milliers d’autres à travers le pays.

« J’ai choisi de venir ici afin de trouver un endroit où il est possible de marcher librement dans la rue, témoigne Karema Maureira. C’est le choix qui m’est apparu comme le plus sécuritaire pour ma vie et celle de mon fils. »

« Il existe une communauté culturelle solidaire, dit-elle. Au-delà des difficultés propres à l’immigration, je vois de nouveaux horizons. »

Auteur-compositeur-interprète montréalais qui gagne en succès au Québec et dans les pays hispanophones, Akawui a pris part aux commémorations du coup d’État qui ont lieu au Québec. 

Lors du mouvement social de 2018, il était en tournée au Chili.

« Je renoue avec l’héritage de mes parents, qui sont venus en tant qu’exilés à Montréal, dit-il. On se trouve dans une période de retour aux sources pour les personnes originaires du Chili. »

Un héritage culturel qu’exprime son œuvre.

Akawui, auteur-compositeur-interprète montréalais d’origine chilienne. Photo: Jeff Malo

« Cette vague d’immigration a permis l’installation d’une tradition d’accueil, dit-il à propos de l’exil chilien. Les personnes qui étaient venues du Chili dans les années 1970 étaient aux premières loges pour accueillir les vagues d’immigration d’Amérique centrale dans les années 1980. »

L’artiste approfondit la culture mapuche, qui lui vient de son père, grâce à des voyages et un travail musical qui fait place à l’échange interculturel.

Avec une fusion de musiques urbaines et andines, il crée une œuvre multilingue et marquée par des influences de hip hop et de cumbia.

Akawui a fait paraître quelques mois l’album El futuro es tribal.

« On y trouve une expression des luttes chiliennes et autochtones, dit-il. Il s’agit d’une invitation à de nouvelles façons de penser. »

Alexis Lapointe est rédacteur professionnel et journaliste indépendant. Après l’obtention en 2021 d’un Baccalauréat ès arts de l’Université de Montréal, il travaille actuellement à une série...