Un nouveau film du réalisateur montréalais Pier-Philippe Chevigny en salle cet automne met en scène la réalité des travailleurs étrangers temporaires, notamment les travailleurs agricoles dans la Vallée-du-Richelieu, au Québec. Le film, intitulé Richelieu, est le premier long métrage de Chevigny, mais le résultat d’une longue carrière dans le cinéma engagé et plus d’une décennie de recherches.

Basé sur un scénario original écrit par Chevigny, le film raconte l’histoire d’Ariane, une interprète en espagnol engagée dans une usine de transformation d’aliments et qui découvre, peu à peu, que les travailleurs sont victimes d’abus et d’exploitation de la part de leur employeur. Confrontée à cette réalité, Ariane devra choisir entre la sécurité de son poste et la sécurité des travailleurs, la plupart d’origine guatémaltèque.

Ce sujet d’actualité a gagné plus de visibilité lors de la pandémie de COVID-19. Ce n’est cependant pas la première fois que le réalisateur de 35 ans touche à la réalité des travailleurs étrangers temporaires: son court métrage Tala, sorti en 2013, raconte l’histoire d’une travailleuse domestique philippine vivant chez une famille riche de Montréal.

La difficile quête de la parole

Réalisateur et écrivain engagé, la justice sociale est au cœur des films de Pier-Philippe Chevigny :  « Depuis mon tout premier court métrage, je m’intéresse à des faits sociaux. C’est un peu ça qui m’a poussé comme cinéaste », dit Chevigny.

Tel qu’il l’explique, à la suite de Tala, le réalisateur voulait faire un documentaire sur les travailleurs étrangers temporaires. Or, à travers ses recherches et conversations avec des intervenants du milieu de l’immigration et des travailleurs agricoles, il a été confronté à la difficulté d’obtenir des témoignages des travailleurs ou de les convaincre de partager leurs expériences dans le cadre d’un film.

« [Après Tala] je suis retourné dans ma région natale, qui est la vallée du Richelieu, à 40 kilomètres au sud de Montréal, et je me suis mis à poser des questions. J’ai rencontré des gens et là, j’ai compris pourquoi il n’y avait pas eu de documentaire fait sur ce sujet: c’est parce que les gens qui sont là ne veulent pas parler, ils ont trop peur des représailles. »

Chevigny a mis de côté l’idée du documentaire mais a poursuivi ses recherches sur les histoires d’abus et d’exploitation dans le milieu, un travail qui lui a pris dix ans. « Le point culminant » de ce projet, a été un voyage au Guatemala avec Ariane Castellano, l’actrice qui a par la suite joué le rôle d’Ariane dans le film. Ensemble, le réalisateur et la comédienne, traductrice aussi lors du séjour, ont visité plusieurs villages où ils ont parlé avec des travailleurs agricoles sur leurs expériences au Canada. Le fait d’être chez eux, loin de leurs sites de travail au Canada, leur a permis de se sentir plus à l’aise. Ce sont ces témoignages qui ont aidé Chevigny à écrire son scénario.

Le choix d’en faire un film de fiction a également été influencé par la possibilité d’attirer un plus grand public. D’après Pier-Philippe Chevigny, la fiction fonctionne ainsi comme un « cheval de Troie » qui demande au public de s’arrêter et faire attention aux histoires d’exploitation présentées dans le film. « Je me suis dit, peut être ironiquement, que c’était plus facile de parler de la réalité à travers la fiction qu’à travers le documentaire », ajoute-t-il.

Programme des travailleurs étrangers temporaires

Depuis 1973, le programme fédéral des travailleurs étrangers temporaires aide les employeurs canadiens à combler des pénuries de main-d’œuvre. Le programme comprend plusieurs volets:  le programme des travailleurs agricoles saisonniers, le programme des aides familiaux résidants, le programme de travailleurs hautement qualifiés, et le programme de travailleurs peu qualifiés. Le programme des travailleurs agricoles saisonniers permet aux employeurs d’embaucher des travailleurs étrangers pour des saisons de 8 mois pour faire du travail agricole.

Lors de leur séjour au Canada, la plupart de travailleurs agricoles vivent dans leur lieu de travail, la ferme où ils sont embauchés. En général, ils dépendent de leur employeur pour leur accès à l’information, les services de santé, les services d’immigration et tout ce dont ils ont besoin en termes d’accommodements. La situation vulnérable de certains de ces travailleurs est bien documentée. Pour Pier-Philippe Chevigny, son film arrive au bout d’une conscientisation accrue du public, surtout après la pandémie et la pénurie de main-d’œuvre qui en a résulté.

Le film, déjà en salle au Québec, met aussi en vedette Marc-André Grondin dans le rôle de Stéphane, l’employeur en charge des travailleurs étrangers dans l’usine. Grondin est un acteur primé et célébré du cinéma québécois et canadien (C.R.A.Z.Y, Goon), ce qui pourrait contribuer à la visibilité du film et de son message auprès du grand public.

Le but ultime du cinéaste: faire comprendre au public que « c’est le temps de parler » au sujet de ces enjeux. « Tant que la société civile ne fait rien, le politique ne va jamais agir. On commence avec ça, avec ceux qui veulent qu’on réfléchisse, qu’on reconnaisse le problème », dit-il.

Richelieu est à l’affiche le 29 et le 30 septembre au Festival international du cinéma de Vancouver (VIFF). Le réalisateur et scénariste du film, Pier-Philippe Chevigny, participera à une session Q&A après la présentation du film lors des deux séances.

Née au Venezuela, Andreina Romero est journaliste pigiste pour New Canadian Media. Avant d'écrire pour New Canadian Media, Andreina était une collaboratrice bilingue du journal The Source, également...

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